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d’un lieu appelé Khoko, situé sur le plateau central du sud de l’Afrique, à quatre cents milles anglais de Zanzibar, presque à mi-chemin entre la côte et le grand lac Tanganyika exploré en 1858 par M. Speke lui-même, en compagnie du capitaine Burton. L’expédition souffrait beaucoup de la famine et de la violence des pluies ; cependant on gardait bon courage, et l’on continuait d’avancer (mais à très-petites journées) vers Kazèh. Ce nom de la capitale de l’Ouniamoëzi est familier à ceux qui ont lu la relation que le capitaine Burton a donnée de la mémorable expédition de 1858 ; à ceux qui ne le connaîtraient pas encore, nous signalerons l’élégante traduction que vient d’en publier Mme  H. Loreau[1], déjà connue dans le monde géographique par son excellente traduction du voyage de Livingstone. Le capitaine Speke a repris, pour gagner le Nyanza et pénétrer de là dans la région inconnue située sous l’équateur, la route même déjà reconnue jusqu’au Nyanza par l’expédition de 1858 ; de sorte que la relation de ce dernier voyage devient en quelque sorte la préface de l’exploration actuelle.

M. Lejean, que des fonctions officielles dans une de nos stations consulaires de la mer Rouge ont obligé de quitter de nouveau la France, n’a pu voir, avant son départ, la publication dont son premier voyage doit être l’objet. Si notre savant et courageux explorateur, dans son expédition de 1860, n’a pu accomplir jusqu’au bout la mission qu’il espérait conduire vers la région des sources du Nil Blanc, ses études personnelles sur la géographie et les populations de la haute Nubie, aussi bien que les informations qu’il y a pu recueillir, n’en promettent pas moins un de ces ouvrages aussi attachants qu’instructifs, qui s’adressent à la fois à la généralité des lecteurs par l’attrait des tableaux, et aux hommes plus spéciaux par la solidité des recherches.


Voyage du baron de Decken de Mombaz à la montagne neigeuse de Kilima-ndjaro.

Il existe partout, dans les sciences comme dans le monde, des esprits chagrins et systématiques qui croient se montrer supérieurs en affichant un scepticisme exagéré. La critique est fort bonne, assurément, et la prudence aussi ; mais au delà d’une certaine limite, la prudence et la critique prennent un autre nom. Il s’est trouvé en Angleterre un critique de cette nature, pour s’inscrire en faux contre les découvertes des deux missionnaires de Mombaz, MM. Krapf et Rebmann, dans l’Afrique orientale, les premiers, on le sait, qui aient révélé l’existence des montagnes neigeuses de Kilima-ndjaro et de Kénia. On a tout contesté de ces découvertes, et les distances, et l’existence même des neiges sur ces montagnes équatoriales ; et tout récemment encore on a pu lire une polémique à ce sujet dans le plus répandu des journaux littéraires de la Grande-Bretagne[2]. Or, voici qu’un voyageur allemand, M. le baron de Decken, habitué aux observations scientifiques et pourvu des instruments nécessaires, vient de faire le voyage de Mombaz au Kilimandjaro, accompagné d’un géologue anglais, M. Thornton, et tous deux ont constaté la parfaite exactitude du révérend Rebmann. La lettre de M. de Decken, communiquée par le docteur Barth à la Société de géographie de Berlin, est datée de Zanzibar le 13 novembre 1861. Le voyageur était de retour depuis l’avant-veille seulement, et il se hâte de rédiger un peu en gros un premier aperçu de son excursion, les lettres devant être emportées par un navire en partance pour Bombay. Il avait quitté Mombaz avec M. Thornton le 28 juin, accompagné d’une escorte formant une caravane de cinquante-cinq hommes. Une marche d’une vingtaine de jours, coupée de nombreux repos, les avait conduits au Kilima-ndjaro, où l’on stationna dix-neuf jours. L’ascension de la montagne n’avait pu être effectuée que jusqu’à une hauteur de huit mille pieds, la désertion des guides, jointe aux pluies qui survinrent, n’ayant pas permis de pousser plus avant. Malgré ce contre-temps, les résultats acquis ont beaucoup d’importance. L’existence des neiges perpétuelles qui couronnent le sommet de la montagne a été constatée. On a été témoin de deux avalanches. La hauteur de la montagne, trigonométriquement mesurée, dépasse vingt mille pieds (six mille cinq cents mètres), dont trois mille, à sa partie supérieure, sont couverts de neige permanente. Le Kilima-ndjaro est une montagne volcanique ; les laves et la nature des roches mettent le fait hors de doute. D’autres résultats géographiques ont été obtenus. On a constaté l’existence d’un grand lac au sud de la montagne, et déterminé les sources de plusieurs cours d’eau qui vont former la rivière Pangani, dont l’embouchure fait face à l’île de Pemba, au nord de Zanzibar. On a constaté dans la même région, au nord-ouest et a l’ouest du Kilima-ndjaro l’existence de plusieurs pics de dix-sept à dix-huit mille pieds, qui constituent une véritable région alpine. Les voyageurs ont construit la carte du pays parcouru, au moyen d’une suite de triangulations opérées au théodolite, ou, quand on était pressé par le temps, avec le compas azimutal, triangulations qui s’appuient sur une série de hauteurs méridiennes des étoiles ; on a une observation de longitude pour le Kilima-ndjaro. M. de Decken se proposait de consacrer deux ou trois mois à se reposer à Zanzibar, et d’employer ce temps à mettre au net le journal, à calculer les observations et à construire la carte ; puis d’entreprendre une autre excursion au mont Kénia, afin de compléter la reconnaissance de cette région alpine remarquable à plus d’un titre.

Le voyage de M. de Decken, eu égard à son étendue, n’est qu’un épisode des grandes explorations africaines ; mais cet épisode n’en sera pas moins une des pages les plus intéressantes de l’histoire géographique du continent.

  1. Voyage aux Grands-Lacs de l’Afrique orientale, par le capitaine Burton ; ouvrage traduit de l’anglais par Mme  H. Loreau, et illustré de trente-sept vignettes, Paris, Hachette, 1862 ; un vol. grand in-8. Le texte original est : The Lake Regions of Central Africa.
  2. Deux lettres de M. Aug. Petermann, l’éminent géographe de Gotha, au sujet des singulières théories de M. Desboroug Cooley. Voir l’Athenæum, nos 1789 à 1792.