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moulins se trouvent aujourd’hui rassemblés, avait été dans le temps un plateau boisé, couvert de cèdres et de sapins gigantesques. Tous ces arbres ont peu à peu disparu, devant l’énorme consommation qu’en font à chaque instant les mineurs pour toutes leurs constructions diverses, et même pour l’alimentation de leurs chaudières à vapeur. Aucune loi, aucun règlement ne limite en Californie la libre exploitation des bois. On taille, on coupe au hasard. Chacun abat le tronc qui lui convient, et la hache inflexible du bûcheron ne respecte rien, ne s’arrête jamais. En même temps, nul ne songe à ménager les coupes et encore moins à renouveler les plantations. Il en résulte un dépeuplement général, et déjà le climat de la Californie a été modifié par cet incessant déboisement, qui trouble à la fois le phénomène des vents et des pluies et l’étatd’huinidité du sol. Le paysage a changé aussi, et le plateau de Grass-Valley, naguère, si ombreux, ne montre plus que des collines ondoyantes, au dos pelé.

Çà et là se dressent des troncs à fleur de sol, pleurant leur cime et leurs branches abattues. Cette vue est loin d’être attrayante et pittoresque, et l’œil se repose volontiers sur les flancs éloignés de la Sierra qui bornent l’horizon. Jusqu’à ce jour, la cognée du bûcheron a bien voulu respecter leurs forêts de noirs sapins, probablement à cause de la distance.

Tunnel dans une mine de quartz. — Dessin de Chassevent d’après une gravure californienne.

Ces observations paraîtront tout au moins superflues et ridicules aux Américains et surtout aux Californiens qui pourront lire ce voyage. Mais enfin il est bien permis de témoigner quelques regrets devant ce flot d’idées matérielles qui monte autour de nous et nous enlace. L’industrialisme dessèche nos cœurs, et, sous prétexte de progrès, on détruit même nos campagnes. MM. Ch…, devenus tout à fait Californiens, ne partageaient pas mes idées ; mais ils faisaient preuve de tant de bonne cordialité à mon égard, que nous n’eûmes jamais aucune discussion eusemble. Le soir nous nous réunissions autour d’une table commune, où vint s’asseoir aussi un compatriote, M. D…, voyageur comme moi. Le vin était bon, le pain d’une éclatante blancheur, le mouton et le bœuf de qualité supérieure, et nous fîmes des repas homériques, ayant pour toute nappe une toile cirée sur la table, et nos mouchoirs pour toute serviette. MM. Ch… avaient adopté là-dessus les usages américains. De même nos chambres ne brillaient pas par un luxe exagéré, et le matin nous avions pour cabinet de toilette le devant de la maison, sous le dôme azuré du ciel. On trempait le lavabo dans un bassin à fleur de terre, et on s’inondait à grande eau. Mais les cigares étaient d’odorants havanes, des puros de qualité supérieure, que l’on puisait sans façon dans des boîtes ouvertes tout le jour ; les hamacs, venus de Panama, étaient doux et bien suspendus ; le ciel serein et sans nuages, la compagnie pleine d’entrain : c’était assez pour me laisser un doux souvenir de mon passage à Grass-Valley. Je quittai un jour ce charmant endroit, pour aller visiter Nevada, capitale du comté. Elle n’est éloignée de Grass-Valley que de quelques milles, que l’on parcourt en voiture en moins d’une heure. Je retrouvai à Nevada une maison de jeu, jadis fameuse, et tenue par une Française. C’est un reste de ces anciens tripots, si nombreux aux beaux jours de la primitive Californie. L’ardeur des joueurs avait bien diminué : ce n’étaient plus des morceaux de pépites qui formaient les enjeux, et le revolver, que le croupier tenait naguère à côté de lui, avait disparu du tapis vert.

Dans les environs de Nevada était employée, sur les placers, la méthode dite hydraulique, que j’avais vue aussi en usage sur les bords de la Merced et à Knight’s-ferry, mais sur une moins grande échelle. C’est à Nevada que cette méthode a été imaginée, et c’est là qu’il faut encore aller l’étudier. Au moyen d’un jet d’eau violent, à très-haute pression, et qu’un mineur projette devant