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énergie que les noirs indigènes indignés de la conduite de ses compagnons envers leurs voisins se refusaient à leur porter quoi que ce soit, et, qu’après leurs procédés déloyaux et rapaces à l’égard de ces malheureux, ils ne devaient pas trouver mauvais qu’on ne voulût avoir aucun rapport avec eux. Après ces paroles, ma discussion avec le négociant turc s’échauffant de plus en plus, les noirs se rapprochèrent peu à peu. Je les fis éloigner, et au risque de tout ce qui pouvait arriver, je conclus en ce sens : d’abord que si mes forces s’étaient trouvées suffisantes, j’aurais essayé de leur reprendre leurs prisonniers pour les renvoyer dans leur pays, mais que je me réservais d’en faire un rapport à qui de droit ; en second lieu que je ne souffrirais pas qu’il fût causé le moindre dommage au village où se trouvait notre établissement ; qu’enfin ils eussent à rester campés où ils étaient en ce moment, et à partir absolument dans l’après-midi, parce que je ne supporterais pas, à mes risques et périls, qu’ils y passassent la nuit. J’ajoutai que je penserais à leur faire porter ce qui leur était nécessaire, et je donnai des ordres en conséquence à Akondit. Quoiqu’il eût peu d’envie, je crois, de se soumettre à mes conditions, voyant le grand nombre des noirs qui m’entouraient et pensant avec raison que je me joindrais à eux pour les défendre, il finit par se retirer dans son camp avec ses gens. J’y fis envoyer aussitôt par le cheik Akondit et mon drogman, deux bœufs, du grain et de l’eau, qui furent payés, cet homme ne voulant pas probablement avoir l’air d’un mendiant à mes yeux.

Arbre de la guerre, dans un village djour. — Dessin de Karl Girardet d’après M. Bolognesi.

Nous passâmes le reste de la journée dans nos camps respectifs, et vers deux heures de l’après-midi, le négociant revint pour me saluer et surtout pour me prier de ne pas les ruiner en faisant un rapport contre lui. Il m’assura que les noirs l’avaient attaqué et qu’il avait été forcé de se défendre ; mais qu’il s’abstiendrait à l’avenir d’emmener des esclaves. Je lui répliquai que le meilleur conseil que je pusse lui donner, c’était de renvoyer immédiatement ces malheureux dans leur pays. Il m’objecta que la chose était impossible, puisqu’ils étaient désormais la propriété de ses gens. Me levant alors, je lui déclarai que mon devoir était d’en faire mon rapport à Khartoum, et que mon seul regret était de ne pouvoir lui reprendre ses prisonniers.

S’apercevant que sa compagnie et sa conversation me plaisaient médiocrement, il se retira et partit presque aussitôt avec son monde, emmenant une soixantaine de noirs attachés à la suite l’un de l’autre au moyen de courroies de peau de bœuf desséchée qui leur entouraient le cou, en sorte que ces infortunés se trouvaient dans un état de malaise et de malpropreté repoussante. C’était réellement un navrant spectacle que de les voir partir péniblement ainsi et de penser que si l’un d’eux, n’en