« Le lendemain, quoique Wood fût encore absent, le procès suivit son cours. On commença par ma cause, que l’on avait séparée de celle de mon fils. On procéda à la nomination des jurés, hommes assez loyaux en apparence, presque tous de Saint-Joseph. Le juge Norton présidait. Je me déclarai innocent.
« Les témoins à charge confirmèrent les détails de notre arrestation ; relativement à Dick, ils attestèrent que cet esclave, après avoir disparu pendant quelques jours de chez son maître Wood, avait été retrouvé dans mon fourgon, d’où on l’avait enlevé sans autre forme de procès. Le ministère public produisit une déposition écrite de Wood, affirmant que Dick avait reçu de lui la permission d’aller au Kansas avec son violon pour en tirer parti, qu’il n’était pas revenu avant l’époque convenue, et qu’on l’avait arrêté avec moi.
« De notre côté, nous opposions un alibi prouvant que je n’étais point venu dans le Missouri avant d’avoir été enlevé par les border ruffians, et qu’à l’époque où j’étais accusé d’avoir provoqué la fuite de Dick, j’étais à Lawrence, dans une ferme, occupé de mes affaires.
« Mes défenseurs firent des merveilles et prononcèrent des discours que je trouvai fort beaux. L’accusation fut soutenue avec énergie par les quatre avocats du gouvernement, parmi lesquels se trouvaient un général et deux colonels : déploiement formidable de forces militaires contre un seul et malheureux prisonnier.
« … Le juge Norton se montra parfaitement juste et impartial.
« Quant au jury, il ne put se mettre d’accord. Il n’avait pas été composé spécialement pour ma cause, et on n’avait pu l’engager d’avance à nous juger selon les vœux des propriétaires et des chasseurs d’esclaves. J’ai su depuis, que sur douze jurés, onze, sans s’inquiéter des conséquences que devait entraîner mon acquittement, avaient osé peser le pour et le contre, et conclure enfin à l’insuffisance de preuves pour me condamner.
« Le procès dura depuis le jeudi jusqu’au samedi soir. Ce jour-là, à neuf heures, le jugement fut remis a la délibération des jurés. Ceux-ci, après des efforts réitérés pour se mettre d’accord, ne purent s’entendre et furent enfin congédiés le dimanche à deux heures.
« Le lundi, l’avocat du ministère public, qui ne pouvait prononcer de condamnation contre moi, déclara qu’en l’absence de motifs de poursuites, mon fils allait être rendu à la liberté. Quant à moi, je fus tenu de donner, comme cautionnement, une somme de cinq mille dollars ou de rester en prison jusqu’au 20 juin, délai fixé par la cour pour la reprise de mon procès. J’avais peu de chances de trouver un répondant, car je ne connaissais personne dans le Missouri. Mes amis offrirent deux mille dollars en biens immeubles au Kansas, comme garantie à celui qui voudrait me cautionner. Personne ne se présenta, car chacun craignait, en me venant en aide, de paraître favorable à un abolitionniste. Je me décidai donc à attendre patiemment en prison le délai fixé, bien que ce nouveau procès ne pût être qu’une simple formalité, et que tout dût être décidé auparavant.
« Mon fils retourna à Lawrence avec sa mère et plusieurs membres de ma famille, qui étaient venus pour me servir de témoins. Il alla chercher l’argent nécessaire pour subvenir aux frais énormes de mon procès.
« Pour moi, ma position dans cette nouvelle prison était tolérable. Ma chambre avait seize pieds carrés, et une petite fenêtre grillée de chaque côté : l’une, plus élevée que la palissade, donnait sur la rue ; par l’autre, on pouvait apercevoir au loin le territoire du Kansas, dont la rivière nous séparait. Ma cellule était un paradis en comparaison de celle que j’occupais à Platte-City. Nous ne