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atteignent soixante-quinze et quatre-vingts pieds de circonférence, et dont la vieillesse vigoureuse brave les ravages des siècles.

Chapultepec est un des plus anciens souvenirs du Mexique. Au huitième siècle, suivant de vieilles chroniques, la colline était déjà le siége d’une colonie d’habitants industrieux et remarquables par leur civilisation.

Pendant une longue période, les peuples nomades venant du Nord, se pressent, se succèdent et se mêlent sur ce terrain si souvent disputé, jusqu’à ce que l’avant-garde des hordes mexicaines accueillies par Jolotl, roi des Chichimèques, obtint la permission de s’établir à Chapultepec.

Depuis la fondation définitive de Mexico, Chapultepec s’est converti en un lieu de pèlerinage. Plus tard, la dévotion populaire se refroidissant, les rois aztèques en firent un musée historique, et ses rocs furent destinés à transmettre à la postérité la physionomie des grands souverains du Mexique.

Axayacatl, suivant Tezozomoc, li-t placer sa statue sur un rocher de la colline, et le P. Acosta prétend avoir vu de beaux portraits, en bas-relief, de Montézuma II et de ses fils, sur pierre vive.

Au temps de Montézuma II, Chapultepec devint résidence impériale.

Le château moderne élevé par les soins du vice-roi Matias de Galvez, s’est transformé, en 1841, en école militaire, et dernièrement Miramon, après l’avoir restauré, en avait fait sa résidence.

Mais revenons à Mexico.

Sur la place de la Douane, place toujours encombrée d’attelages de mules et de chariots vides, se trouve le couvent de Santo Domingo, bien déchu de son ancienne splendeur. Il sert, en temps de guerre civile, de forteresse aux prononcés qui, du haut des clochers, fusillent à leur aise leurs ennemis logés sur les azoteas des maisons, ou sur les tours des couvents voisins. À défaut, l’on choisit pour point de mire le piéton hasardeux que la nécessité chasse de son logis, l’étranger surtout, quand on le reconnaît au loin.

Aussi le cloître de Santo Domingo ne présente plus que l’aspect de la désolation. Les tableaux qui ornaient les galeries sont à moitié crevés, et les murailles sont noires de la fumée des camps. Les beaux jours de Santo Domingo remontent à l’Inquisition, dont il fut le siége. Les annales font remonter à l’an 1646 les fêtes qui célébrèrent le premier auto-da-fé de Mexico. Quarante-huit personnes succombèrent à l’inauguration du terrible tribunal dont les décrets s’exécutèrent jusqu’au commencement du siècle.

Autre chose est le couvent de San Francisco. Placé entre la rue du même nom, celle San Juan de Letran et Zuletta, il couvrait une superficie de près de soixante mille mètres carrés. Coupé de cloîtres magnifiques, de cours et de jardins, c’était à notre avis le plus considérable et le plus riche de Mexico.

Deux églises, dont les intérieurs sont couverts de gigantesques autels de bois sculpté et doré, trois chapelles délicieuses, des cloîtres couverts de tableaux, en faisaient un monument des plus remarquables ; mais la politique a renversé le couvent, percé des rues au travers des cloîtres et vendu les jardins. Les garnisons qui occupèrent l’édifice aux jours de lutte ont, comme à Santo Domingo, laissé les tristes marques de leur passage ; le couvent est dans un état déplorable.

La façade qui regarde la rue de San Francisco présente un portail magnifique.

Cette porte est un composé bizarre de pilastres renaissance, couverts de figures en bas-relief, surmontés de chapiteaux composites, et séparés par des niches ornées de statues. Le tout est d’une richesse d’ornementation extraordinaire, d’un goût peut-être douteux, mais d’un remarquable, fini de détail, et l’on admire d’autant plus ces sculptures, qu’au dire de la chronique, elles ne sont point dues au ciseau de l’artiste, mais au pic granier du tailleur de pierre.

Aujourd’hui, m’a-t-on dit, la porte de San Francisco n’existe plus ; le couvent est démoli, les matériaux dispersés, le terrain vendu.

On regrette que le gouvernement libéral, dans sa hâte de détruire les couvents, n’ait point su conserver ce magnifique échantillon de l’art mexicain.

Le couvent de la Mercie n’est qu’une immense bâtisse dont rien, ni l’église, ni la façade, ne peut attirer l’attention du passant ; mais son cloître est le plus admirable de Mexico (voy. p. 360).

De blanches colonnes aux arceaux dentelés forment d’immenses galeries encerclant une cour dallée, dont une fontaine bien modeste orne le centre. Ces colonnes légères et les dentelures finement découpées rappellent le style grenadin qu’on voit se développer avec tant de splendeur dans la cour de l’Alhambra.

Placé au centre d’un faubourg des plus populeux, le cloître, par sa solitude et son silence, forme un contraste frappant avec le tumulte et l’agitation du dehors. Rien ne peut se comparer à la tristesse qui règne dans ses murs. De temps à autre un aguador vient remplir à la fontaine ses cantaros et ses chochocoles (urnes et pots qui lui servent à transporter l’eau). Quelquefois la tunique blanche d’un religieux vient animer une seconde le désert des galeries pour disparaître aussitôt dans l’ombre des vastes corridors, peuplés de cellules désertes pour la plupart.

Aux murailles des galeries sont suspendus de nombreux cadres avec personnages, grandeur nature, représentant des scènes religieuses, les martyrs de l’ordre, et les saints qui l’ont rendu célèbre. Toutes ces physionomies muettes, dans l’extase de la prière ou de la douleur, n’offrent aux yeux que poses violentes et tableaux d’horreur. Ce ne sont que dislocations, bûchers, supplices de tous genres.

Parmi ces personnages, les uns lèvent au ciel leur tête coupée dont le sang les inonde, d’autres vous tendent a l’envi leurs moignons sanglants ou leurs membres calcinés. Un dégoût invincible envahit tout votre être ; vous vous reportez à ces temps, d’une part de persécution monstrueuse, d’autre part d’exagération pieuse, où l’on croyait