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c’est un papillon ; elle en a les ailes légères, les riches couleurs et la grâce. Alors la créature que vous avez regardée sans la voir dans le désordre de son intérieur, est le soir une femme élégante dont vous admirez les fraîches toilettes et le luxe éblouissant.

L’heure du paseo approche, et comment vivre sans paseo ? qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il tonne, elle part, son carrosse l’attend ; elle court étaler ses grâces, sourire à son amant, saluer de la main l’amie qui passe, écraser une rivale.

Comme elle, le Mexicain n’est plus le soir l’homme du matin ; vous avez rencontré sur le trottoir un dandy du boulevard de Gand, vous le retrouvez à cheval ; cavalier remarquable, il monte une bête de prix, couverte d’une selle de luxe.

Pour lui, ses jambes sont emprisonnées dans des calzoneras, dont chaque bouton d’argent est un petit chef-d’œuvre, et lorsque le temps n’est pas sûr, des chaparderas de peau de tigre lui descendent du genou au cou-de-pied. Une veste bien coupée fait valoir sa taille gracieuse que ceint un filet de soie rouge. Le vaste sombrero aux ailes galonnées, à la toquille d’or, a remplacé l’ignoble chapeau noir. Quand il pleut, le zarape aux mille couleurs est négligemment jeté sur ses épaules, et quand il fait beau, fixé sur l’arrière de la selle.

Puis il va, faisant caracoler sa monture, alternant du pas au galop, distribuant des poignées de main à droite, un salut à gauche, et jetant, comme le tambour-major de la fable, un regard satisfait à quelque fenêtre privilégiée.

Deux heures environ, il va, vient, passe et repasse, repart, s’arrête et voit défiler devant lui les équipages de la cité. Mais sept heures sonnent, la nuit tombe, les visiteurs deviennent rares ; alors, abandonnant à regret son exercice favori, il rentre, et la journée du lendemain sera celle de la veille.

L’hiver, le théâtre, dont tout Mexicain à son aise est l’abonné, lui dépense trois soirées par semaine : quant à la Mexicaine, elle y vient toujours élégante et parée comme les ladies de Hay-Market ou de Drury-Lane. Chaque représentation exige une toilette nouvelle, et elle se soumet à l’exigence, vous le pensez, avec bonheur.

L’été, c’est le cirque, les combats de taureaux, combats anodins, où la victime, toujours la même, vient régulièrement s’enferrer sur la lame de l’espada.

Le jeu des taureaux n’a véritablement d’attrait que la première fois qu’on y assiste. L’œil s’amuse de cette mise en scène brillante, des costumes élégants et légers des banderilleras, de leurs voiles multicolores, de la tenue matamoresque des picadores et des chamarrures de l’espada.

L’entrée du taureau vous émeut ; il semble que rien ne doive résister à l’élan de la bête furieuse, et le picador imprudent qui l’oserait affronter serait culbuté sans merci ; mais tourmenté par les banderilleras, aveuglé par leurs voiles trompeurs, il épuise en vain sa rage contre d’insaisissables ennemis ; le picador n’arrive que lorsque, écumant, essoufflé, à demi vaincu, il ne se précipite plus qu’en un choc souvent impuissant sur la rosse qu’on lui sacrifie d’avance. Souvent aussi le directeur du cirque ne lance sur l’arène que des taureaux en bas âge, roquets de taureaux dont le peuple hue l’entrée (fuera la vacca ! à la porte la vache !), et qu’on remplace quelquefois pour le satisfaire.’

L’Alameda est un joli parc situé au centre de Mexico ; de beaux ombrages, des fleurs malgré l’incurie des gardiens, de l’eau vive, une fontaine assez remarquable, en font un lieu de promenade assez agréable, mais presque uniquement à l’usage des enfants et des gens paisibles. Là, l’homme studieux arrive avec son livre, la china (grisette) y donne ses rendez-vous, quelques dames aussi parfois. Le Français y domine. Ceci me rappelle que je ne dois pas oublier mes compatriotes.

La société française à Mexico est composée de gens énergiques qui, partis de bas, sont arrivés à la fortune grâce à un travail obstiné et à des facultés incontestables. Presque tous libéraux, ils infusent au Mexique des principes qui ne sont point du goût des conservateurs : aussi ont-ils les vives sympathies des uns et la haine envenimée des autres. La colonie française a grandement souffert sous la présidence de Miramon, dont les emprunts forcés se renouvelaient chaque jour. Comme partout à l’étranger, les Français de Mexico se dénigrent entre eux, les femmes s’y jalousent avec fureur, et la colonie n’y est guère qu’un immense foyer de cancans.

La promenade des « Chaînes » qui s’étend au pied de la cathédrale n’est fréquentée que le soir ; la société s’y rend au clair de lune, si brillante en ces climats ; les toilettes y sont belles, le châle porté sur la tête y abrite les belles señoras contre la fraîcheur de la nuit. Les accroche-cœurs y font quelques captifs, et le caballero quelques conquêtes.


Le peuple à Mexico. — Les Indiens. — Les pulquerias. — Les enterrements d’enfants. — Le clergé. — Les voleurs de grands chemins. — Utilité d’un rabat.

Le peuple de Mexico est composé de métis de toutes les teintes, et de quelques Indiens fournissant au commerce les domestiques mâles ou femelles, les cargadores et les porteurs d’eau. Dans les faubourgs, c’est une fourmilière de femmes et d’enfants en guenilles, d’ignobles bouges d’où s’échappent des odeurs méphitiques. Tous ces êtres rongés de vermine, les cheveux épars, ne présentent que l’aspect d’une population étiolée par le mauvais air, la mauvaise nourriture et la débauche. Souvent, sur la porte des masures une femme accroupie tient entre ses genoux la tête d’un enfant ; elle semble s’efforcer, mais en vain, d’arrêter la fécondité de la population parasite qui le dévore ; quelquefois c’est un heureux soldat qui jouit de ce doux privilége. En vérité, cela rappelle les singes du Jardin des Plantes.

Les barrios ou faubourgs sont des quartiers qu’un étranger, la nuit venue, ne peut parcourir sans danger. Les habitants nous portent une haine étrange, en grande partie inspirée, il faut bien le dire, par les prédications du clergé.