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Le prix de semblables cérémonies monte quelquefois à des sommes énormes ; tout le monde y perd, sauf l’Église.

Le Mexicain conserve encore une coutume charmante, tout imprégnée du parfum des vieux âges. À six heures sonne la Oracion, l’Angelus : tous les habitants s’arrêtent, se découvrent et se souhaitent mutuellement la buena noche. Dans l’intérieur de chaque maison la même scène se répète, et dans les champs aussi les nombreux serviteurs de l’hacienda viennent humblement baiser la main de leur maître.

À Mexico, les maisons sont à terrasse et admirablement construites ; les murs sont épais et généralement surmontés d’une large corniche. Les encoignures sont ornées de niches enjolivées d’arabesques et meublées d’une statue de saint ou de la Vierge. Le toit chargé d’une épaisse et lourde couche de terre glaise, prête à la bâtisse un appui contre les tremblements de terre si fréquents sur les hauteurs. On en compte en moyenne deux par année.

Je fus témoin pendant mon séjour d’un de ces effroyables phénomènes. Le tremblement de terre du 12 au 15 juillet 1858 fut l’un des plus terribles qu’on ait jamais ressentis. Les Mexicains en garderont le souvenir.

Un bruit souterrain l’annonce, bruit sourd, grondant, indescriptible ; l’oscillation commence lente d’abord, puis bientôt longue, précipitée, terrible ; l’épouvante vous prend à la gorge et vous assistez, sans le bien analyser, à un cataclysme épouvantable ; il semble qu’un vertige affreux fasse danser à vos yeux les édifices, se briser les arbres et s’écrouler les maisons. Dans la rue, le peuple à genoux se tord dans les convulsions de la peur, l’air se remplit de clameurs lugubres, de cris désespérés, de prières et de formules pieuses arrachées par l’épouvante ; une minute (un siècle !) passe, et vous vous étonnez de vivre, de voir les palais debout et les temples résister à l’effroyable ébranlement de ces ouragans souterrains !

Vue de Puebla, prise d’El Alto (voy. p. 367). — Dessin de Catenacci d’après une photographie de M. D. Charnay.

Cette année-là néanmoins, le dommage fut grand, et l’on a estimé à plus de dix millions les désastres de la journée.


La vie à Mexico. — Les coutumes. — Le Paseo. — L’Alameda. — Les toros. — Le théâtre. — Les chaînes.

Nous avons dit qu’à Mexico le centre de la ville était européen, presque français. Dans les rues Plateros, San Francisco, de la Professa, del Espiritu Santo, etc., on entend aussi souvent le français que l’espagnol ; presque tous les gens bien élevés parlent notre langue.

Dans ces quartiers, le paletot et la redingote dominent, le chapeau noir est bien porté ; les jeunes gens y sont mis à la dernière mode. Chaque mois le packet anglais les éclaire à ce sujet, aussi les tailleurs font-ils fortune.

Le Mexicain d’un accès si facile dans la rue, point trop poseur, est liant, mais jusqu’à la porte de sa maison. Il laisse difficilement l’étranger pénétrer dans l’intérieur de sa famille. La table qui chez nous est l’instrument social par excellence, la salle à manger, le lieu où se déclarent le plus volontiers les vives sympathies, où les coudes appuyés, se prolongent les longues causeries, n’existent pas pour les Mexicains. La table semble chose honteuse qu’ils cachent au besoin. Il s’y assoit solitaire.

La femme, demi-nue jusqu’à une heure avancée, laisse flotter sur ses épaules une chevelure généralement abondante, mais grossière, qu’elle lave tous les jours. Dans bien des maisons, la Mexicaine riche même s’accroupit plus volontiers sur son petate (paillasson), devant quelque fricot pimenté, un plat de frigoles (haricots) et la tortille à la main, qu’elle ne s’assoit à une table élégamment servie. Le matin la Mexicaine est chrysalide, le soir