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soient soumis, et que le maître revienne leur donner le mouvement et la vie qui les ont abandonnés.

Le degré de civilisation de Chichen doit avoir été plus élevé qu’a Izamal, où les pyramides et les figures énormes dénotent plus d’antiquité avec moins de perfection dans les détails ; à Chichen, la masse des ruines forme ville ; les édifices, les temples et les monuments qui, par leur simplicité, rappelleraient des habitations particulières, les places publiques même, font songer à un état civil plus avancé, et où de la théocratie absolue on aurait passé, par exemple, à une théocratie militaire.

Hnit jours s’étaient écoulés, et chaque matin on m’engageait à me hâter : il tardait à ces messieurs de revoir leurs pénates et les ruines étaient muettes pour eux. Depuis longtemps déjà le vieux curé avait repris la route de Citaz, bien fatigué de son excursion ; je ne le revis plus, et je sus par la suite qu’il était mort des suites de sa visite à Chichen. Pauvre padre ! — Pour moi le temps passait rapide ; j’étais pourtant accablé de fatigue, le visage brûlé, les bras couverts de coups de soleil ; je ne puis me rendre compte de l’insensibilité de ma machine à l’endroit de ce climat dévorant. Chaque soir, je m’étendais avec délice sur mon hamac suspendu aux arbres des ruines ; on allumait un feu pour éloigner les tigres et l’on soupait. Quelquefois les Indiens entonnaient un chant monotone, mélopée plaintive qui précipitait le sommeil.

Détails de la façade dite Égyptienne, dans un des palais d’Uxmal (Yucatan). — Dessin de Guiaud d’après une photographie de M. Charnay.

J’avais distingué parmi les travailleurs indiens un jeune homme à figure fine et intelligente ; un soir il se composa une sorte de violon avec une racine en guise de corde et une branche en forme d’arc, puis se servant à la fois d’un archet et de sa bouche qu’il collait contre une des extrémités de l’instrument, il produisait des sons d’une douceur infinie.

Le neuvième jour, j’avais terminé mon travail et je précipitai le départ. Arrivé à Citaz, il fallut montrer aux autorités du petit village les vues dont le padre leur avait conté des merveilles. Je m’exécutai aussitôt ; mais ce fut pour eux une désillusion profonde : ces clichés négatifs ne parlaient point à leurs yeux, ignorant les mystères de la photographie ; ils me remercièrent néanmoins, mais bien convaincus de la nullité artistique des trésors que j’emportais.

Trois jours après, j’étais à Mérida.

Charnay.