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son fustan, jupon lâche ou empesé, est orné de broderies bleues, jaunes ou rouges ; sa uipile, tunique très-ample, laisse les bras et les épaules nus, et tombe sans ceinture jusqu’à mi-jambe ; puis, son écharpe, blanche aussi, couvrant la tête, s’enroule autour du bras ou flotte au gré du vent. Plus la nuit s’avance, et plus le chemin s’anime ; de lourdes voitures font entendre au loin le grincement de leurs essieux criards, les mules se saluent de hennissements prolongés. Puis des groupes d’Indiens paraissent ; une courroie d’écorce enveloppe leurs fardeaux, pesant sur leurs épaules, mais portés par la tête ; ils vont tristes, rapides et sans bruit : trois siècles d’oppression pèsent sur leur âme éteinte. À notre approche, ces silencieux passants s’inclinent ou se rangent respectueusement sur le bord du chemin. Je fus naturellement amené à établir un parallèle entre ces hommes sombres et les nègres. J’avais vécu avec les Indiens de plusieurs contrées et les esclaves de l’Amérique.

L’Indien, en quelque part du Mexique qu’on le prenne, libre ou opprimé, est triste, silencieux, fatal ; il semble porter le deuil d’une race détruite et de sa grandeur déchue ; c’est un peuple qui meurt.

Le nègre, au milieu des chaînes de l’esclavage, rit et danse encore ; il a l’insouciance de l’enfant, l’ingénuité d’un peuple qui naît.

La danse de l’Indien à tout le cachet de son caractère : il glisse en mesure, piétine à peine, sa figure reste impassible, et le chant d’amour qui l’accompagne ne semble qu’une longue complainte.

Types du Yucatan. — Dessin de Riou d’après un croquis de M. Charnay.

Le nègre, au contraire, s’élance en bonds désordonnés, en postures lascives ; sa cadence est une tempête et son chant un violent éclat de rire.

Au deuxième relais, nous nous arrêtâmes ; il était entre sept heures et demie et huit heures, et le Yucatèque ne peut vivre sans prendre le chocolat trois fois par jour au moins ; chacun de nous but donc une tasse, suivie du classique verre d’eau. La besogne achevée, je me hâtais de courir dans la rue du village, où, malgré la nuit, j’espérais saisir quelque trait original de la physionomie du pays. Je n’y trouvai rien de particulier, sinon un air de mystérieuse tristesse répandue sur les maisons délabrées, sur les animaux et sur les gens. La rue, presque déserte, était silencieuse ; on n’entendait pas un cri, et les enfants eux-mêmes semblaient porter le joug de cette mélancolie profonde. Aucun symptôme de curiosité ne les attirait ; ils me regardaient passer, craintifs ou indifférents, sans intérêt comme sans passion.

Une seule personne s’approcha de moi, vrai fantôme sous son vêtement blanc : c’était une pauvre mendiante affligée d’une affreuse lèpre ; son corps décharné, sa figure hideuse me firent une impression pénible. Je me hâtai de lui jeter un réal et je regagnai en courant la diligence : on repartait.