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queue de son cheval et les amena garrottés à la ville. Il fit venir la vieille aveugle et instruisit lui-même l’affaire. Dès qu’il fut convaincu que les gens qu’il avait arrêtés de sa propre autorité étaient bien les coupables, il leur enjoignit de rendre l’argent qu’ils avaient enlevé à l’aveugle, et les congédia en leur disant : « Si pareil fait se renouvelle, les balles de mes pistolets vous apprendront le nom de l’armurier. Partez, et rappelez-vous que Bothros n’a jamais rien promis qu’il n’ait tenu. »

Tel était l’homme que le hasard avait jeté sur ma route lors de mon aventureuse exploration en Cilicie, et dont je conserverai toujours le souvenir. En me voyant monter sur le navire qui devait me ramener en France, Bothros me prit à part et me témoigna le désir de m’accompagner à Paris, afin de voir par lui-même si ce qu’on racontait des merveilles de notre grande Babylone répondait bien à l’idée qu’il s’en faisait. Je consentis à l’amener en France.

Vue d’Aïas (Lajazzo), l’ancienne Ægée, sur le golfe d’Alexandrette.

L’homme du désert parut d’abord un peu surpris de se voir transporté sur un navire à hélice plus rapide que le meilleur cheval de course ; mais son étonnement cessa quand il aperçut, à Marseille, une locomotive lancée à toute vapeur et entraînant derrière elle, avec une prodigieuse rapidité, tout un convoi de voyageurs et de marchandises, Puis, quand Bothros se vit emporté par la terrible machine invention du diable, il perdit toute contenance, et, pour la première fois de sa vie, Bothros pâlit, Bothros eut peur ! Blotti dans un coin du wagon, il n’osait plus faire un mouvement, et il resta silencieux pendant plusieurs heures.

Peu de jours avant notre arrivée en France, Bothros avait déjà grande hâte de revoir ses montagnes. L’Arabe du Taurus était à la gêne entre nos maisons de cinq étages ; à toutes les magnificences de Paris, il préférait le plus chétif village de la Karamanie, et il fut heureux de partir. Rentré à Tarsous, il continue à y redresser les torts de ses compatriotes. Le bruit court que Bothros s’est marié, qu’il rend sa femme très-heureuse, et qu’il sait lui éviter les persécutions auxquelles fut exposée Pénélope pendant la longue absence du père de Télémaque.

Victor Langlois.