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« Qui es-tu et que veux-tu ?

— Mon maître, je suis ton esclave, et je viens te demander humblement ta fille en mariage.

— Quelle dot apportes-tu ?

— Dix robes de brocart d’Alep, des étoffes de Damas, des colliers, des bracelets d’or, etc.

— Entre avec tes amis. »

À ce moment la porte s’ouvre et chacun se précipite dans la maison. Un orchestre oriental, très-peu harmonieux du reste, fait entendre ses accords, tandis que des chants partent de l’appartement des femmes, et que la fusillade éclate de tous les côtés. J’entrai dans la maison avec tout le cortége, et bientôt nous nous trouvâmes devant d’immenses tables chargées d’un butin considérable ; c’étaient les brocarts d’Alep et les soieries de Damas dont le fiancé avait fait la nomenclature. On voyait aussi des narghilehs montés en argent, des tasses du Japon supportées par des coquetiers en filigrane, des aiguières, des vases à parfums, des tapis, enfin tout l’attirail du plus riche ameublement asiatique.

Pendant cette inspection, qui donnait lieu à des appréciations fort controversées sur la valeur des objets, — appréciations qui me paraissaient assez peu convenables, — des esclaves servaient dans une vaste salle un festin somptueux, qui se composait de moutons rôtis et fumants dans de grands plateaux, des pyramides de riz d’un volume très-respectable, et d’assiettes de sucreries et de pâtisseries. En quelques instants les invités, qui s’étaient accroupis autour des plateaux, dépeçaient les moutons, et chacun tirait à soi le morceau qu’il parvenait à détacher du tout. Une sébile en argent, qu’un serviteur tenait toujours à la disposition des convives, servait à désaltérer tout ce peuple d’invités. Quand le repas fut terminé, on apporta les pipes et le café. La nuit vint peu à peu, et le signal du départ pour l’église fut donné par un officieux qui remplissait le rôle de maître des cérémonies.

La porte de Fer (Démir-Capoue), à Tarsous.

C’est à ce moment que la mariée, jusqu’alors invisible, devait se montrer à son futur époux comme à tous les convives : on entendait des sanglots partant de la pièce voisine, dont la porte, dissimulée par un cachemire, s’ouvrit pour livrer passage à une forme humaine, couverte d’un long voile blanc et soutenue par deux femmes. C’était la mariée.

Un vivat prolongé accueillit l’apparition, et le cortége se mit en marche pour l’église grecque, toujours précédé de la musique et au bruit inévitable des coups de fusil. Dès qu’il fut arrivé à l’entrée du sanctuaire, illuminé pour la cérémonie tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, l’évêque renouvela les questions faites au futur par le père de la jeune fille, et la noce pénétra dans l’église. On fit placer les époux devant l’autel et les cérémonies du mariage commencèrent.

L’évêque prit du pain, qu’il rompit en plusieurs parties, en offrit aux jeunes époux et jeta le reste sur les assistants. Au calme qui régnait dans le sanctuaire succéda un brouhaha effroyable. Les invités s’étant précipités en même temps pour ramasser un morceau de ce pain, il en résulta une véritable mêlée, un assaut de force et de dextérité où les poussées, voire même les coups, pleuvaient comme les bénédictions que le prélat dispensait en ce moment. Ne comprenant rien à cette scène scandaleuse, je voulus m’interposer, mais on me fit observer que se jeter sur le pain bénit était une coutume fort ancienne en Orient, et on m’en expliqua la cause : tout célibataire qui peut manger un morceau de pain consacré est sûr de se marier dans l’année.

La cérémonie religieuse terminée, la jeune fille, toujours enveloppée dans son voile, prit avec ses compagnes le chemin de la maison, suivie du cortége des invités. À peine arrivée dans la chambre nuptiale, on la fit as-