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compatriotes. J’ai connu un vieux Français, ancien clairon d’une demi-brigade qui avait fait partie de l’expédition de Bonaparte en Égypte, et s’était fixé en Syrie à la fin du siècle dernier, qui, sans y prendre garde, avait fini par se transformer d’une façon si complète en Turkoman, qu’il avait même oublié en grande partie sa langue maternelle. Il est vrai qu’à l’époque où je fis sa connaissance, ce bon vieillard était plus que septuagénaire et il n’avait pas vu la France depuis plus de cinquante ans.

La cavalcade ayant pris place aux côtés du consul, nous fîmes notre entrée dans la ville en nous dirigeant vers la maison de France, où des chambres avaient été préparées pour nous recevoir.

Tarsous, l’ancienne Tarse, s’élève au milieu de la vaste plaine qu’arrose le Cydnus (Mésarlyk-tschai). C’est une des plus anciennes villes de l’Asie, puisque les traditions en font remonter la fondation à Persée l’Argien et à Sardanapale l’Assyrien. De tous côtés Tarsous est entouré de jardins plantés d’arbres, parmi lesquels dominent les peupliers, les palmiers, les platanes et les orangers. Vu de loin, Tarsous ressemble à une oasis perdue au milieu d’un vaste désert. On compte aujourd’hui sept mille habitants dans la ville, la plupart Turcs et Turkomans, Grecs et Arméniens, Arabes et fellahs. On n’y rencontre que fort peu d’Européens, si l’on en excepte les consuls, qui habitent d’assez pauvres maisons dans le quartier nord de la ville.

Le consul de France est établi dans une assez grande maison à un étage ; sur la façade règne une galerie couverte, dont les fenêtres à ogives sont envahies par des pampres et des plantes grimpantes qui retombent en guirlandes, et dont les fleurs s’épanouissent au soleil en répandant d’agréables senteurs. Un escalier en bois, dont la rampe se couvre d’une végétation luxuriante, conduit dans la galerie et dans les chambres ; mais pour gagner la terrasse de la maison, on est obligé de se servir d’une échelle. C’est sur cette terrasse, qui sert de toiture à toute la construction, que la famille se réunit le soir pour respirer l’air pur venant de la montagne. Quand le temps est beau, de là on aperçoit la mer, et la vue embrasse toute la contrée d’alentour, enveloppée de tous côtés par un immense rideau de montagnes couvertes de neige.

Toutes les maisons de la ville se ressemblent à peu de chose près, et comme tous les toits se touchent et sont à terrasses, on pourrait croire que les rues sont suspendues comme l’étaient les jardins de Babylone. Tarsous renferme très-peu d’édifices ; quelques mosquées, des khans, un bazar et des fontaines publiques d’une architecture très-primitive, sont les seules constructions qui valent la peine d’être mentionnées. Les rues sont étroites, sales et encombrées. Les caravanes de chameaux ont peine à s’y frayer un chemin, et la circulation est presque toujours interrompue par le passage des bêtes de somme qui vont et viennent, se croisent et s’embarrassent. Si la moderne Tarsous est dépourvue de monuments de quelque valeur, en revanche elle possède de belles ruines. C’est près de cette ville que se trouvent le tombeau de Sardanapale, l’aqueduc romain et la nécropole. La nécropole n’est autre chose qu’un tumulus fort riche en antiquités et principalement en figurines de terre cuite. Pendant mon séjour à Tarsous, je pratiquai des fouilles qui amenèrent la découverte d’une quantité considérable de fragments de statuettes et de poteries, dont le lecteur pourra voir des échantillons curieux au Musée du Louvre, où ils sont exposés sous le cristal d’une vitrine.


Population de Tarsous. — Un mariage grec.

La population chrétienne de Tarsous, je veux parler des Grecs et des Arméniens, est la plus riche de la ville ; car les Turcs se livrent peu au commerce, se contentent de faire cultiver leurs terres par des fellahs, et vivent du produit de leurs fermes, sans se préoccuper trop des moyens d’augmenter leur fortune ou même leurs revenus. C’est donc chez les Grecs et les Arméniens que l’on trouve l’aisance, et même un certain confort ; et c’est dans l’intérieur de leurs familles qu’il faut aller chercher des distractions, si l’on ne veut pas être condamné à mourir d’ennui dans la ville où Antoine et Cléopatre se donnaient ces fêtes somptueuses dont l’histoire a conservé le souvenir.

Quelques jours après mon arrivée à Tarsous, j’étais admis chez les principaux habitants de la ville, et je fus invité à prendre part à des fêtes de famille dont bien peu d’Européens ont été les témoins, et auxquelles les Turcs n’ont jamais été conviés. Leur présence chez les chrétiens exclurait celle des dames, dont la beauté a été tant de fois célébrée, et qui méritent bien la réputation qu’on leur a faite. Ce fut surtout aux fêtes données par un riche négociant grec de Tarsous, pour le mariage de sa fille, que l’occasion s’offrit à moi de voir les plus séduisants exemples de la beauté orientale. J’avais été invité aux noces que l’on devait célébrer, et le frère de la future était venu lui-même m’apporter le cierge traditionnel qui devait me servir de carte d’entrée dans la maison nuptiale. Le jour fixé pour la cérémonie, toute la population franque et grecque de la ville était sur pied et dans ses plus beaux atours ; les hommes portaient des vêtements neufs ; les femmes avaient mis sur leurs turbans et leurs corsages des bijoux d’un grand prix. Depuis le lever du soleil, des serviteurs tiraient des coups de fusil sous les fenêtres de la future.

Je me rendis d’abord à la demeure du fiancé, que ses amis venaient d’habiller au grand complet, et qui attendait que le père de la future vînt le chercher pour le conduire chez lui. Chaque arrivant adressait à l’heureux fiancé les compliments d’usage, entremêlés de propos grivois ; puis il lui faisait un cadeau qui consistait soit en foulards, fez de Stamboul, souliers brodés, bouquins d’ambre, soit en poules, fruits, voire même en argent comptant.

Quand le père de la future fut venu, le cortége se mit en marche vers la maison nuptiale. Une fois arrivé devant la porte, on s’arrêta, et le père entra seul. Bientôt après il parut à une fenêtre, d’où il adressa ces questions au fiancé :