Page:Le Tour du monde - 05.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les coquillages). Sir William Hamilton dut regagner la rive en toute hâte, car sa barque prenait l’eau de tous côtés. Le goudron avait fondu dans la mer bouillante.

La cendre que vomit le cratère, en cette année malheureuse, fut si épaisse, qu’une seule branche d’un figuier en porta trente et une onces, et la branche n’en pesait que cinq. Je ne vous ai rien dit encore de ces éruptions de cendres. Elles accompagnent souvent les autres, et sont quelquefois plus terribles : ce fut la cendre du volcan qui couvrit Pompéï. Je vous en reparlerai sans doute un jour, si nous allons ensemble visiter cette ville morte. Je me contente pour aujourd’hui de vous rappeler que la poussière du Vésuve fut plus d’une fois poussée par le vent jusqu’à Rome et même jusqu’en Égypte, si Dion Cassius n’est pas un affreux menteur. — En tout cas, l’éruption du mois dernier a couvert toutes les campagnes environnantes et sablé Naples d’une poudre noire et rousse qui, mêlée à l’eau de pluie, crottait nos chapeaux d’une boue tombant du ciel.

Cela dit, retournons en 1794. La lave de cette année descendit sur Résine, puis se détourna si vite et si brusquement sur Torre del Greco, que la population eut à peine le temps de se sauver. Quinze retardataires, faibles et vieux, périrent. Un moine sauva la vie à sept vieilles nonnes qui ne voulaient pas quitter leur couvent. L’une d’elles, âgée de quatre-vingt-dix ans, se chauffait les mains à la lave qui courait sous sa fenêtre, et trouvait cela charmant. Il fallut presque les emmener de force : elles demandaient des dispenses au pape, et craignaient moins le Vésuve que l’enfer. On leur dit d’emporter ce qu’elles avaient de précieux ; elles laissèrent leur argent, et prirent avec elles des sucreries.

L’inondation à Torre del Greco. — Dessin de Riou d’après une photographie.

On vit des choses curieuses dans ce désastre : un filou s’insinua dans une maison enveloppée par la lave pour voler un cochon. C’est sir William Hamilton qui raconte la scène. Poursuivi par le propriétaire de la bête noire, le voleur alla se cacher derrière l’ambassadeur d’Angleterre et tourna longtemps autour de lui, le cochon dans ses bras, pour échapper à l’homme volé, qui tournait également de l’autre côté de sir William. Jamais diplomate, je crois, ne s’est trouvé dans une situation pareille.

Après l’éruption, les Torresi (habitants de la Torre) rebâtirent tout tranquillement leur ville au-dessus de la lave. Les anciennes maisons englouties devinrent les caves des nouvelles ; on élargit les fenêtres supérieures, on en fit des portes, et au bout de quelques mois on n’y pensait plus. Les Torresi vécurent encore soixante-sept ans, sans la moindre peur, sur ce plateau de scories.

Mais tout à coup, le 8 décembre dernier, une forte secousse de tremblement de terre les réveilla brusquement de cette sécurité. Et aussitôt., avec d’épouvantables détonations, à un mille au-dessus de la ville, quatre ou cinq bouches s’ouvrirent brusquement, lançant des pierres et des bombes, vomissant des cendres et des flammes, et dardant çà et là des éclairs bleus. Vous pouvez vous figurer l’épouvante. Aussitôt la population, effarée, éperdue, quitta la ville en se sauvant vers Résine et jusqu’à Naples. La grande route fut peuplée de familles dispersées qui hurlaient et se roulaient sur la terre avec ces explosions et des convulsions de douleur qui éclatent toujours au premier moment dans ce pays. Les enfants cherchaient leurs mères, les femmes s’arrachaient les cheveux, appelaient à grands cris les hommes de la maison ; les vieillards oubliés gémissaient à l’arrière-garde ; les voitures, déjà chargées d’objets précieux, roulaient au galop dans cette foule ; les trains de chemin de fer ne suffisaient point pour emmener les fuyards. Pendant plusieurs jours, ce fut un immense déménagement. Je