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rent seuls, sur la pointe du volcan, dans la nuit, sous le feu, sous les bombes. Tous les vêtements qu’ils avaient sur eux ne sulfirent point pour sauver le moribond, qui expirait, exténué par le sang perdu. — Son ami ne le quitta point cependant ; il voulut disputer ce corps sans vie au cratère qui l’avait tué. Seul, épuisé lui-même, il ne pouvait descendre ce fardeau sanglant dans la vallée, sur des pentes roides et des éponges de fer. Il resta couché sur le mort pendant plusieurs heures.

Je n’invente rien ; le fait s’est passé comme je le dis, à cent pieds au-dessus de ma tête ; il m’a été raconté le lendemain par tous les guides et par un Allemand de la bande. Or cet Allemand, l’un de ceux qui étaient allés chercher des secours, n’a pu mentir pour se faire honneur.

Durant cette nuit solitaire, autour de cet homme de bien, abri vivant d’un mort, le Vésuve a vomi de quoi bombarder une ville. Patient et immobile, l’héroïque ami n’en est pas moins resté là, ne pouvant crier, car sa voix était étouffée par le tonnerre, et affrontant mille morts pour sauver un cadavre, avec une obstination de dévouement qui n’était certes pas l’ivresse du feu. Quand on peut citer de pareils traits, on n’en conclut certes pas que l’homme soit un Dieu, mais on se console un peu de n’être qu’un homme.

Les soulèvements de la mer pendant l’éruption du 3 décembre 1861[1] — Dessin de Riou d’après une photographie.

De pareils accidents sont rares heureusement, et ils châtient ordinairement des imprudences. Dans l’éruption du mois dernier, on n’a compté qu’une victime, un pauvre guide qui s’était trop approché des bouches à feu. En 1858, un Anglais se précipite dans la fosse de Pharaon ; mais ce fut peut-être un suicide. On compte ce genre de malheurs, qui n’arrivent guère aux hommes cauteleux. Les éruptions n’éclatent que rarement tout à coup ; elles s’annoncent par des menaces qui laissent aux locataires et aux voisins du Vésuve le temps de prendre leurs précautions. Les puits se dessèchent et le sol tremble aux environs de la montagne. Il est vrai que ces pronostics ne sont pas infaillibles, et que le cratère ouvre quelquefois le feu sans tirer d’abord un coup de canon d’avertissement ; mais il ne bombarde guère que son cône. Quant à la rivière de lave, elle a du chemin à faire avant d’atteindre les terres cultivées et les maisons ; elle marche d’ailleurs si lentement, qu’elle ne prend personne à l’improviste. Ainsi les éruptions, par elles--

  1. « … Ordinairement, les eaux sont bleu d’azur et si limpides qu’on peut voir, à une profondeur de plusieurs brasses, les poissons se jouant à travers les rochers. Pendant et après l’éruption, la mer avait la couleur d’une rivière chargée de limon. Nous avons senti la mer vibrer pendant toute la nuit à chaque mouvement que faisait la montagne, disait un habitant de Torre del Greco… La mer s’était retirée à une distance qu’on pouvait évaluer à une vingtaine de palmes, et, du rivage, on la voyait bouillonner avec violence. »

    (La Presse scientifique.)