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dont on ne saurait se rendre compte à la pâle clarté de notre soleil.

La plaza Mayor est peu remarquable et ne m’eût laissé, je crois, que de tristes souvenirs, si elle n’avait été animée par un marché. Une petite fontaine des plus bourgeoises s’élève au centre ; d’un côté une église cruellement badigeonnée de jaune, de blanc, de chocolat, de lie de vin et autres teintes que revendique d’ordinaire la devanture des perruquiers de village ; sur les autres faces, des maisons à portales écrasés, dans la décoration desquelles l’ocre jaune domine.

Mais la vue du marché distrait et détache l’œil de ces aberrations de pinceau ; on y rencontre quelques types nouveaux. L’Indien de la Terre-Chaude vient y porter les fruits de son jardin ; il n’a d’autres vêtements qu’une chemise dont les pans flottent librement par-dessus un caleçon blanc ; quelques-uns portent le petit chapeau de paille à forme ronde des bergers d’Arcadie. Les femmes drapent leur beau torse bronzé dans une pièce d’étoffe, blanche souvent, ayant comme le sarape une ouverture au centre pour passer la tête, et dont les plis retombent sur une jupe bleue, rouge ou jaune ; une bordure d’un dessin étrusque et d’une couleur éclatante orne le bord du manteau comme celui de la jupe. Leur chevelure noire et luxuriante est tressée avec des cordons rouges. Ce costume a du caractère, et quand il est porté par quelque jeune créature bien campée, fière et gracieuse à la fois dans son port et dans sa démarche, quand elle s’avance ayant sur sa tête une corbeille de fruits et de fleurs de serre chaude, ou bien une poterie de forme antique que maintient en équilibre son bras élégamment arrondi, on croirait voir s’animer une fresque de Pompéi.

Indiennes de la Terre-Chaude. — Dessin de Stella d’après Nebel.

Près de là passent quelques Jarochos en fine chemise de batiste brodée, calzoneras de velours, ceinture de soie rouge qui porte le machete, sorte de dague ou de long couteau de chasse, chapeau de paille sous lequel pend un foulard qui protége le cou des ardeurs du soleil. Le Jarocho est le campagnard de la province de Vera-Cruz ; c’est le plus souvent un produit des trois races connues, la blanche, la rouge et la noire, et de ce croisement bizarre est résulté, sous les feux du Cancer, un sang de lave en ébullition dans un corps que soutiennent des muscles d’acier. Le Jarocho est pasteur et récolte en outre ce que dame nature veut bien faire venir sans trop d’aide dans l’enclos qui entoure sa cabane ; car le Jarocho n’est pas très-enclin au travail, mais cette indolence créole est doublée chez lui de l’énergie pour le plaisir qui appartient au sang nègre. Jouir avec fureur est le dernier mot de la vie pour lui : le jeu, la boisson, la musique, la danse, la toilette, l’amour absorbent ses loisirs. Indépendant et hardi, chatouilleux à l’extrême sur le point d’honneur, il est prompt à en appeler aux décisions de son machete dont il ne se sépare jamais. Franc et loyal du reste, hospitalier, probe, c’est un bon enfant, en somme. Il est de taille moyenne, bien pris, mais en général, maigre et d’une teinte plombée tirant sur le jaune.


État de Vera-Cruz. — El Lencero. — Le puente nacional. — Une fête de nuit en Terre-Chaude. — Le chemin de fer de Vera-Cruz. — Un norte. — La Vera-Cruz. — Départ.

Jalapa est un chef-lieu de district ; l’État de Vera-Cruz en compte neuf en tout ; les huit autres sont : Tampico, Papantla, Misantla, Vera-Cruz, Jalacingo, Orizaba, Cordova et Casamalbuapan. Les districts méridionaux de Tuxtla, Acayucan et Huimanguillo en faisaient autrefois partie ; ils ont été séparés, quelques années après la Révolution, pour former l’État de Guerroro.

La population de la province est de deux cent soixante-quinze mille habitants, son area d’environ soixante-douze mille kilomètres carrés, elle est plus grande que la Belgique et la Hollande réunies. Le littoral est malsain, le