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Vue de Jalapa. — Dessin de E. de Bérard d’après Nebel.



VOYAGE AU MEXIQUE,

PAR M. E. VIGNEAUX[1].
1854-1855. — TEXTE INÉDIT.




Une excursion nocturne dans Mexico. — Un majordome voleur. — Promenade forcée. — Ayotla.

J’avais obtenu un passe-port de la légation française pour la Nouvelle-Orléans et l’heure du départ sonnait. Il me fallait être à la Vera-Cruz avant le 20, le steamer était attendu à cette date. On m’engagea instamment à ne pas continuer ma route à cheval, à cause de la rigueur du climat, et, puisque je voulais voyager économiquement, à prendre passage sur des chariots qui font le service de roulage accéléré entre Mexico et la Vera-Cruz. Ces voitures à quatre roues, construites aux États-Unis, sont couvertes et fort bien suspendues ; comme elles s’en vont de la capitale à la côte à vide généralement, l’administration prend alors des voyageurs moyennant la somme modeste de quinze piastres. Le trajet se fait en huit jours, soit dix lieues par jours à peu près ; on vit pendant ce temps à ses frais dans les posadas et fondas de halte, comme j’avais vécu jusqu’alors. La diligence ne met que trois jours et une nuit à franchir la même distance, mais un asiento, une place dans la diligence revient, avec les faux frais qu’elle entraîne inévitablement, à une vingtaine de piastres (cent francs environ) par jour.

J’eus la faiblesse de me laisser, sinon convaincre, du moins influencer, et je vendis mon pauvre cheval, ce dont je me repentis amèrement par la suite. Je congédiai Miguel, qui me demanda la permission de m’embrasser et me serra dans ses bras, les larmes aux yeux, avec une effusion des plus touchantes ; malgré son désespoir et, surtout, malgré ma surveillance, le digne lepero trouva moyen d’emporter, comme fiche de consolation sans doute et faute de mieux, une couple de chandelles de suif d’un tlaco que je l’avais envoyé acheter le matin par provision.

Mon départ fut fixé au 14 ; je reçus avis du majordome de me trouver à trois heures du matin sans faute au corral des voitures. La crainte de manquer le coche me tint éveillé toute la nuit et, à deux heures, j’étais dans les rues, drapé dans mon sarape et ma valise à la main.

Le corral était situé dans une ruelle assez louche, dite le callajon de la Vina, à l’entrée du faubourg mal famé de Santa Anna ; j’y arrivai en quelques minutes, la distance n’étant pas d’un demi-kilomètre. Le silence profond qui régnait aux alentours me parut de bon augure : on n’avait pas encore attelé. Je frappe, je frappe encore, j’appelle, je fais vacarme, les aboiements furieux d’un chien de garde sont la seule réponse que j’obtiens ; enfin,

  1. Suite et fin. — Voy. pages 241, 257 et 273.