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VOYAGE AU MEXIQUE,

PAR M. VIGNEAUX[1].
1854-1855. — TEXTE INÉDIT.




Mines d’argent à Guanajuato. — Le pulque et les magueyales. — Le plateau de Mexico. — Los Organos de Actopan. — La Cañada. — Rencontre suspecte. — Tepeje del rio. — Huehuetoca et le Desague. — Topographie de la vallée de Mexico.

Après une excursion à la mine de Rayas, je poursuivis ma route vers Mexico. Je traversai Salamanca, Celaya, Queretaro, capitale de l’État de ce nom, San-Juan del rio. Entre Celaya et Queretaro se trouve le pueblo d’Apaseo, autour duquel on cultive le maguey qui fournit le pulque.

Cette variété de l’agave est plus grande que celle du mescal ; le vert en est glauque. Le pulque n’est autre chose que la séve destinée à alimenter la tige qui porte les fleurs, si on la laissait se développer ; mais c’est précisément au moment où la hampe est sur le point de jaillir du corazon qu’on creuse au centre de celui-ci un trou énorme, au-dessus duquel on réunit en faisceau les feuilles centrales. C’est à une certaine tendance à se rapprocher qui se manifeste dans ces feuilles que les cultivateurs indiens reconnaissent le moment où ce phénomène est sur le point de se produire. Il faut une observation intelligente et une habileté que donne seule une longue habitude pour ne pas porter prématurément le fer dans la plante et causer par là sa mort. L’âge de la maturité varie, selon les districts, de douze à vingt et même vingt-cinq ans ; à Cholula, la plante est mûre à huit ans exceptionnellement.

Ce trou se remplit d’un liquide incolore qui prend le nom d’aguamiel ; on le vide deux et trois fois par jour. et l’on y puise, en moyenne, de dix-huit à vingt cuartillas par vingt-quatre heures pendant cinq mois : la cuartilla représente un demi-litre environ. La plante meurt quand la séve est ainsi épuisée.

La récolte se fait de la manière la plus primitive. Les hommes qui en sont chargés portent sur leur dos, retenue à leur front par un filet de corde, une outre dont l’ouverture est fixée au-dessus de leur tête. À la main ils tiennent une longue calebasse légèrement recourbée et terminée à son extrémité la plus étroite par une corne de bœuf ; cet instrument s’appelle acojote. Ils sont en outre munis d’une large cuiller à manche court qui leur sert à nettoyer et agrandir le trou.

L’opérateur plonge dans le liquide l’extrémité garnie de la corne, appuie ses lèvres à l’extrémité opposée, fait le vide, l’acajote se remplit et le contenu passe dans l’outre.

J’entrai dans l’État de Mexico par Arroyo Zarco, tout près du village d’Aculco qui a donné son nom à la célèbre bataille livrée le 7 novembre 1810 entre les insurgés commandés par le curé Hidalgo et les Espagnols sous les ordres de Calleja, dans laquelle ces derniers demeurèrent vainqueurs.

Les nuits sont fraîches à Arroyo Zarco ; on y sent l’influence de l’air subtil des montagnes. Le plateau est élevé ; depuis Salamanca j’avais monté sans cesse. Salamanca est a mille sept cent cinquante-sept mètres, Celaya, à mille huit cent trente-cinq, Queretaro a mille neuf cent quarante, San Juan del rio à mille neuf cent soixante-dix-huit, Arroyo Zarco à deux mille deux cents environ. La vallée de Mexico est plus élevée encore (deux mille deux cent soixante-dix-sept mètres). On peut se faire une idée de ce que serait le séjour de ces plateaux sous nos latitudes, en songeant que le Plomb du Cantal, le point le plus élevé de l’Auvergne, n’a que mille huit cent cinquante-six mètres. Dans la zone torride, cette élévation est le gage d’un printemps perpétuel.’

L’État de Mexico est un vaste territoire de cinquante et un mille kilomètres carrés environ, ce qui est approximativement la superficie de la presqu’île du Danemark. Sa population est de douze cent et quelques mille habitants. Sa capitale est Tescuco et non pas Mexico, qui, en sa qualité de capitale de l’Union, forme avec sa banlieue un district indépendant, jouissant d’une vie administrative particulière : c’est le distrito ou partido federal. L’État est divisé en huit districts, dont les chefs lieux sont : Acapulco, Tasco, Cuernavaca, Toluca, Mexico, Tula, Tulancingo et Huejutla.

Cette province est excessivement montagneuse, aussi les différences de niveau des plateaux et des vallées y crée-t-elle de grandes différences de température, et l’on y rencontre successivement tous les climats et les produits des trois zones. De nombreux cours d’eau, grands et petits, sortent des flancs de ces hauteurs et portent la fertilité dans les vallées. Les principaux sont : le rio Zacatula ou de las Balsas, le rio Lerma et le rio Tula. Le premier prend sa source sur le revers méridional de la sierra de Ajusco, qui ferme au sud la vallée de Mexico, et va se jeter dans le Pacifique ; le second sort des marécages du milieu desquels s’élève la ville de Lerma, à l’ouest de la capitale, et va former le rio Santiago ; le troisième enfin sort du cœur même des montagnes qui séparent la vallée de Mexico de celle de Lerma, se dirige vers le nord et, sous le nom de rio Panuco, vient se joindre au rio Tampico, près de l’embouchure de ce dernier.

  1. Suite. — Voy. pages 241 et 257.