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beaux édifices, de majestueuses cathédrales ! Alors je compris l’immensité de la scène que j’avais sous les yeux.

Une rampe sinueuse me conduisit dans la plaine. Je n’ai rien vu de plus frais et de plus riant que le premier pueblo où j’arrivai ; l’eau courait dans les rues protégées par de beaux ombrages. Les cases des Indiens, en jonc ou en adobes, étaient entourées de jardins, dont les longues colonnettes du cactus organo (tuyau d’orgue) formaient la clôture. Chacun de ces jardins était une corbeille de fleurs et de fruits. Mais dans ce paradis je trouvai la population en émoi ; une bande nombreuse de voleurs battait, disait-on, le pays environnant, et l’on parut étonné de ce que j’étais arrivé sans encombre.

Le lendemain, je traversai la plaine pour me rendre à Silao ; elle est coupée de canaux qui en entretiennent la fécondité. C’est dans ces districts privilégiés que le froment donne de 40 à 60 pour un. Un caractère remarquable des campagnes mexicaines, c’est l’absence des habitations isolées et des barrières ; à l’époque de la sécheresse et quand la moisson est faite, on se croirait dans un désert. De loin en loin, je encontre quelques animaux, chevaux et bœufs, broutant le chaume desséché de la moisson dernière. Il n’est pas rare de voir quelques zopilotes perchés philosophiquement sur la croupe, le garot, et jusque sur la tête des paisibles quadrupèdes ; ces petits vautours noirs avec leur gravité comique, donnent une couleur des plus originales au tableau.

Sila, pueblo ranchero, c’est-à-dire habité par les cultivateurs de ces terrains déserts que je viens de traverser, n’est qu’à cinq ou six lieues de Guanajuato. Le 29, à l’aube, je pris le chemin de cette ville célèbre.

Guanajuato est située au cœur d’un nœud de montagnes abruptes, à deux lieues environ de la plaine. Une gorge sinueuse, qui porte le nom de Cañada de Marfil, y conduit. À droite et à gauche des croupes abruptes et desséchées, intersectées de profondes ravines, dominent la Cañada. Des fragments d’obsidienne de toutes dimensions jonchent le chemin. Des aloès, des cactus et quelques plantes grasses sont les seuls ornements de cette nature sévère mais grandiose.

La route est large et bien entretenue, quelquefois taillée dans le roc vif ; on sent qu’on approche d’un centre d’opulence et d’activité. Une foule de gens, cavaliers et piétons, me croisent, me suivent ou me précèdent.

Moine mexicain en costume de voyage. — Dessin de Riou.

Je m’arrête au sommet d’une hauteur pour contempler le pays que je domine. C’est un spectacle merveilleux, mais qui n’échappe à la tristesse qu’à force de majesté. Le caractère général de cette région est celui-ci : des croupes à versants assez roides séparées par de profondes cañadas, qui toutes convergent vers le centre ; au-dessus de ces croupes s’élèvent à 3 et 400 mètres de hauteur, de sombres masses de porphyre, de basalte ou de grès, dont quelques-unes affectent de loin des airs de ruines cyclopéennes. Ces pyramides se nomment Buffas.

À mes pieds est la petite ville de Marfil ; plus loin, au fond d’une gorge, point central auquel viennent aboutir tous les ravins d’alentour, Guanajuato, à demi perdue dans la brume du matin comme sous un voile de gaze. Dans les replis et sur les croupes de ces montagnes se montrent de blancs villages, semblables à des forteresses ; en haut, ces nids d’aigles sont les reales et les tiros ou puits de mines, la Serena, Rayas, Mellado, Cota, Valenciana ; en bas, ce sont les haciendas de beneficio, les bâtiments où l’on exploite le minerai. À droite, le cerro San Miguel domine la ville ; à gauche, le cerro de Santa Rosa forme l’horizon. Toutes ces pentes sont arides, desséchées ; en quelques endroits cependant se montrent, vers leur pied, des bouquets de chênes rabougris, d’arbousiers, de sapins.

Au fond de la cañada de Marfil, coule un ruisseau, qui devient un torrent furieux à certaines époques. La route le longe et le traverse en maint endroit, supportée aux flancs de la montagne, tantôt à droite, tantôt à gauche, par un mur élevé. Au delà de Marfil, on domine du haut de ce quai naturel quelques haciendas de beneficio. Dans de vastes patios, des troupeaux de mules, dont le poil humide décompose la lumière, piétinent dans d’immenses flaques d’une boue grise : c’est le précieux minerai.

On franchit encore plusieurs fois le ruisseau avant d’arriver à Guanajuato. Je fais halte dans un meson ; il est dix heures à peine, je m’empresse de déjeuner et vais parcourir la ville.

Les rues de Guanajuato sont étroites, tortueuses, souvent en pente ou coupées d’une longue volée de degrés. Les maisons, échelonnées au pied des hauteurs, ont parfois un étage de plus d’un côté que de l’autre. Les places sont petites, irrégulières, mais assez jolies. Les Mexicains, qui ne comprennent une ville que largement étalée au milieu d’une plaine, se complaisent par trop à affirmer que Guanajuato est fort laide ; c’est une erreur. J’y ai admiré de belles maisons en pierre de taille, à plusieurs étages, étalant tout le luxe moderne de la ser-