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d’une famille qui s’attachait par ses soins à remplacer la mienne.

Je sortis fort peu pendant les premiers jours, bien que j’en eusse toute liberté ; mais le grand besoin de repos que j’avais et les douces attractions de ma nouvelle demeure ne m’en donnaient guère la tentation. Le 27 septembre je mis le pied dehors pour la première fois en l’honneur d’une grande fête nationale ; ce jour est l’anniversaire de l’entrée à Mexico, en 1824, de l’armée dite des trois garanties (trigarante), commandée par Iturbide, vainqueur des Espagnols. Les affaires sont suspendues ce jour-là ; grande revue de la garnison dans l’après-midi. Pour la première fois je vis là les soldats en grande tenue, c’est-à-dire avec une tunique de drap bleu usée jusqu’à la corde, blanchie aux coutures, tachée partout, frangée au bas, pas d’épaulettes et un petit pompon au shako. Le soir, il y a foule sur la Plaza de Armas, où les bandes militaires font entendre d’excellente musique, car les Indiens sont admirablement doués pour les arts. Là se trouve toute la belle société ; les éventails jouent, les œillades se croisent ; là se rencontre à foison ce type que M. T. Gautier a vainement cherché en Espagne : « Un ovale allongé et pâle, de grands yeux noirs surmontés de sourcils de velours, un nez mince, un peu arqué, une bouche de grenade, et, sur tout cela un ton chaud et doré, justifiant le vers de la romance : Elle est jaune comme une orange. » C’est que le sang des guerriers de Montézuma coule encore dans leurs veines, mêlé, plus ou moins, au sang des compagnons de Cortez.

Les hommes portent le costume européen, cependant on voit beaucoup de petits manteaux espagnols et de chapeaux à grands bords et à toquillas, qui suffisent pour donner un cachet original à l’ensemble. Les femmes ont le petit soulier de satin et le vestido, la robe de soie ; les enaguas, c’est-à-dire le simple jupon sans corsage, sont abandonnés aux femmes de conditions inférieures, mais dans leur intérieur, les dames mexicaines qui mènent un peu la vie de mollesse, de farniente et d’intimité avec les suivantes, ordinaire aux femmes de l’Orient, laissent volontiers tomber sur leurs hanches le corsage tyrannique du vestido. Le corset n’est guère en usage parmi elles. Elles vont nu-tête, sauf le tapalo, petit châle de soie brodé, qu’elles portent comme la mantille et qui remplace ce rebozo populaire réservé pour le négligé.

Mexicaines : Dame et soubrette. — Dessin de Riou d’après une photographie.

Pendant toute la saison sèche qui va commencer, il y a ainsi foule sur cette place de huit à dix heures du soir, le jeudi et le dimanche, pour ouïr la musique. Cette promenade ennuyeuse pour un étranger comme un bal de l’Opéra, a beaucoup de charmes pour celui qui rencontre des connaissances parmi ceux et celles qu’il coudoie ; elle ne manque pas de caractère en tout cas, surtout par un beau clair de lune.