places et ses principales avenues sont plantées de beaux arbres ; elle a des promenades agréables et de magnifiques jardins particuliers. Sa population est de huit à dix mille habitants, assure-t-on ; il n’y paraît guère, car les rues sont désertes et les galets à pointes de diamant qui en forment le pavage, sont enchâssés dans le vert émail du gazon. C’est Versailles, le Versailles actuel, moins son château et sa garnison, mais riant sous les chaudes caresses d’un soleil de bon aloi qui n’a jamais visité le chef-lieu de Seine-et-Oise. L’absence de boutiques est pour beaucoup dans cet air d’abandon ; le commerce de détail, dans les villes espagnoles d’Amérique, est ordinairement concentré sur un seul point, une rue ou une place, sous des portales ou arcades ; en dehors de là, c’est rarement que l’on voit, à l’angle de deux rues, le mot de vinoteria ou celui de tienda de abarrote, tracé en grosses lettres au-dessus d’une porte, indiquant un cabaret ou un magasin d’épiceries.
De temps en temps, un coche du seizième siècle, tiré par des mules le plus souvent, trouble le silence de cette Thébaïde ; pas de charrettes, point d’omnibus, très-peu de chiens errants, jamais de saltimbanques, marchands d’orviétan, musiciens ambulants et autres industriels de cette espèce, qui animent nos places et nos rues. Dans quelques carrefours, ou sur les degrés d’une église, une rangée de tortilleras, assises sur leurs talons et drapées dans leur rebozo, attendent, en caquetant entre elles sur un ton bas et rhythmique, que la pratique ait vidé le chiquihuite ou corbillon qui contient leur marchandise ; la marchande de tortillas est un type commun au Mexique où la tortilla est un mets national qui remplace le pain. La tortilla est une crêpe de farine de maïs très-mince et très-sèche, d’un goût fade. Il y a pourtant des boulangers dans toutes les villes, mais ils ne fabriquent de pain ordinaire que pour les étrangers ; aux gens du pays, ils fournissent une foule de petits pains de fantaisie, dont on ne compte pas moins de quatre-vingts espèces ayant chacune son nom, et qui pourraient se désigner sous le nom de gâteaux, puisque dans leur fabrication il entre toujours de la graisse et souvent du sucre ; les Mexicains en font une grande consommation avec leurs tasses de chocolat plusieurs fois répétées dans le courant de la journée, à titre de collation ou de souper ; mais la tortilla demeure l’accompagnement ordinaire des repas substantiels, et la basse classe n’en connaît pas d’autre.
Il y a quelque animation autour du marché où mes fonctions de pourvoyeur m’appelaient sans cesse ; sous des halles en bois, assez semblables à celles qu’on vient de démolir en face de Saint-Eustache, à Paris, se trouvent réunis les produits des deux zones, fruits et légumes ; volailles en abondance, peu ou point de marée car l’industrie de la pêche est très-négligée sur ces côtes poissonneuses ; pas davantage de gibier, encore que les forêts et les montagnes voisines en soient abondamment pourvues, et que la chasse ne soit nullement interdite ; veau, bœuf, mouton et porc, voilà pour la viande ; le bœuf valait un réal. Les étaux des bouchers sont répugnants. L’animal a toujours été mal saigné ; élevé en liberté, dans un état demi-sauvage, il est coriace, aussi les gens riches et les étrangers ne mangent-ils que le filet. Le reste est découpé en lanières sans distinction de catégories. Tépic fut fondée, en 1531, par Nuño de Guzman, un des capitaines de Cortez, qui venait de conquérir toute cette région. Il la baptisa Villa del Espiritu Santo de Tepique, ce qui laisse supposer que le lieu portait déjà ce dernier nom.
La position de Tépic est heureusement choisie au milieu d’une vallée fertile, entourée de montagnes, à huit cent quatre-vingt-cinq mètres au-dessus du niveau de la mer. Le climat en est sain ; c’est celui de la zone tempérée. Il est à propos de dire ici que le Mexique est divisé en trois zones distinctes désignées sous le nom de tierra caliente ou terre chaude, tierra templada ou terre tempérée, et tierra fria, terre froide. La latitude n’est pour rien, ainsi qu’on pourrait le supposer, dans cette division, mais bien le plus ou moins d’élévation des plateaux au-dessus du niveau de la mer.
La tierra caliente est réduite au littoral des deux océans, bande étroite qui s’étend jusqu’au pied des montagnes ; elle comprend aussi une partie des bassins du Rio Gila et du Rio del Norte. La tierra templada comprend les revers des Cordillères, au-dessous de deux mille mètres, élévation moyenne du grand plateau qui forme la tierra fria.
Cette région, qualifiée de froide, jouit encore d’une température analogue à la température moyenne de Lombardie, avec moins de variations toutefois, c’est-à-dire des étés moins chauds, des hivers moins froids. Cependant, quelques districts montagneux justifient assez bien l’épithète.
Cet heureux caprice de la nature favorise au Mexique la végétation des produits de toutes les zones.
Il y a quelques manufactures à Tépic ; la plus importante est celle de Forbes, pour la filature des cotons et le tissage des toiles dites mantas, qui servent exclusivement à vêtir toute la basse classe au Mexique. On fabrique également beaucoup de cigares, et l’on en fabriquerait davantage encore n’était l’estanco ou la régie. Le tabac est originaire du Mexique ; Montézuma le fumait mêlé à la résine odorante du liquidambar. Le partido de Tépic, de même que ceux d’Autlan, d’Aguacatlan et d’Acacaponeta, qui l’avoisinent, produit un tabac justement apprécié dont les cigares ne le cèdent en rien à ceux de la Havane. Malheureusement, l’estanco étouffe ce commerce, qui pourrait contribuer si puissamment à la richesse nationale. La culture de cette plante est restreinte à quelques districts et à la quantité nécessaire à la consommation locale par une loi qui en interdit l’exportation, sous quelle forme que ce soit, hors du district producteur. La fabrication des cigares est limitée, et, ce qui est plus fort, l’approvisionnement du consommateur l’est également. Personne ne peut avoir chez lui plus de cent cinquante à deux cents cigares ; l’estanco fait faire des visites domiciliaires auxquelles l’aristocratie parvient seule à se soustraire en mettant les employés