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leur servir un jour de linceul. Ils l’avaient apporté, les pauvres gens, de leur patrie. À Jérusalem, ils l’avaient déjà pesé tour à tour sur le sépulcre et sur le Calvaire. Ils l’avaient aussi approché du feu sacré.

La mer Morte n’est guère un but de pèlerinage que pour les savants et les curieux. Ses rives mornes, arides, nues, lugubres presque dans toutes les parties sont en quelques endroits couvertes de roseaux grands comme des arbustes. Personne apparemment ne sera tenté d’en célébrer les charmes et d’en faire un Éden ou une vallée de Tempé. On dit que parfois des bandes d’oiseaux, hirondelles ou canards sauvages, traversent ces eaux tristement calmes et limpides d’où ne s’élèvent point, comme on le croyait, des exhalaisons méphitiques. Je n’ai point vérifié si l’on y est repoussé à la surface lorsque l’on veut y nager. J’avoue que je n’ai pas voulu m’exposer à tous les petits supplices qui, dit-on, sont la punition inévitable de cette expérience : démangeaisons, irritations, adhérences à la peau de particules salines ou de taches gluantes. J’ai mieux aimé m’en rapporter à de plus curieux que moi. Chose singulière ! le docteur G… est persuadé qu’on établira sur les bords de la mer Morte les établissements thermaux de l’univers. « Un jour, dit-il, la mer Morte donnera la vie ! »

Une vue de la mer Morte.

Et maintenant, voulez-vous me permettre de résumer en peu de mots ce que j’ai pensé depuis mon retour. Je me sens véritablement plus calme et plus à l’aise pour bien prier dans l’humble église voisine de ma demeure, que je ne l’étais à Jérusalem au milieu des tumultes de l’église du Saint-Sépulcre. Cependant ce voyage est et restera pour moi un des grands événements de ma vie. Sur cette terre qu’on ne foulera jamais avec indifférence, j’ai éprouvé dans les plus intimes profondeurs de mon être des impressions que je n’avais jamais connues, et telle en est la puissance singulière que je ne sais si, malgré l’approche de la vieillesse et le charme de mes habitudes paisibles, je résisterai quelqu’un de ces jours au désir de braver de nouveau chemins de fer, paquebots, mer houleuse, mauvais gîtes, fanatisme grec, brutalité turque et le reste ; mais je déclare que la tentation serait plus forte encore si la Palestine devenait, de mon vivant, comme je le souhaite, un département français ou une colonie romaine !

Y.