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le patriarche latin, une estrade surmontée d’un dais. Un amas considérable de branches de palmier était enfermé dans le saint sépulcre, sur le marbre du tombeau. Le patriarche est entré dans la chambre funèbre et a béni les palmes qu’on a ensuite portées dehors. Ces palmes viennent, dit-on, du pays de Gaza ; quelques-unes, celles des dignitaires ecclésiastiques et laïques, sont décorées de fleurs et ornées d’une triple couronne. Le patriarche, assis sous le dais, les a distribuées aux Latins, qui se sont inclinés tour à tour devant lui, tandis que dans une prière, il leur rappelait la branche d’olivier que la colombe apporta dans l’arche à Noé. On a fait ensuite une procession en portant les palmes autour du sépulcre, et jusqu’à la pierre de l’onction. De là on a été entendre la messe à la chapelle de Marie-Madeleine (u).

Il a fallu précipiter cette marche. Déjà le flot des schismatiques roulait vers nous avec une impétuosité presque effrayante. Mille cierges se sont éclairés sous la coupole et dans la partie de l’église qui forme la nef, où les Grecs ont seuls le droit de se réunir. Près de l’autel, il y a une petite colonne entourée d’un cercle de marbre blanc (x) : c’est, disent les Grecs, le centre de la terre, l’ombilic. Tout l’édifice est bientôt rempli de chants et de bruits comme la veille. On se félicite cette année de ce que l’ordre n’a presque pas été troublé pendant la distribution des palmes. Il paraît que la réserve et la paix sont choses rares. En 1831, par exemple, des chrétiens orthodoxes, surtout des Bethléemites, craignant de ne pas avoir de palmes, se précipitèrent vers la porte du saint tombeau ; des musulmans se ruèrent au milieu d’eux pour avoir leur part de la distribution ; il s’ensuivit des coups, des cris, une mêlée scandaleuse. Le célébrant se réfugia dans le sépulcre et ferma la porte derrière lui. Les Turcs gardiens du temple accoururent avec des bâtons et des fouets, et firent tomber une grêle de coups sur tout le monde. Si ce spectacle me fut épargné le jour des palmes, je n’en fus point privé les jours suivants soit à la porte du temple, soit au parvis.

De ma vie, je n’ai vu donner tant de coups de bâton que pendant la semaine sainte à Jérusalem. Bien entendu, ce sont toujours les chrétiens qui les reçoivent et les musulmans qui les donnent.


Le mercredi saint.

Du dimanche au mardi soir, il ne se passe rien de remarquable dans l’intérieur du Saint-Sépulcre. Les pèlerins vont prier aux stations de la voie douloureuse.

Le mercredi saint, les pèlerins se rendent de grand matin sur le mont Sion.

Un santon, vieux moine musulman, garde la salle où le Saint-Esprit descendit sur les apôtres et où, suivant la tradition, David avait déposé l’arche d’alliance.

On s’est promené dans la vallée de Josaphat, et on a visité tour à tour les Oliviers, la grotte de l’Agonie, le rocher ou dormirent les disciples, le lieu où Judas embrassa et livra son divin maître.

On est ensuite revenu à la ville pour entendre, vers trois heures de l’après-midi, l’office des ténèbres dans l’église du Saint-Sépulcre. Les religieux, assis devant des pupitres rangés près de la porte du tombeau, ont chanté avec un accent grave et triste les poésies sacrées de Jérémie et de David. Une oraison à voix basse a succédé : puis, à mon grand étonnement, les religieux se sont mis à frapper sur les livres, les pupitres et les bancs. Aussitôt, beaucoup d’enfants catholiques, qui attendaient avec impatience ce signal, agitèrent bruyamment des castagnettes et firent un tel vacarme autour du tombeau que les gardiens turcs, impatientés, sont accourus et les ont brutalement chassés du temple. La petite bande s’est alors promenée dans le quartier chrétien en s’arrêtant, pour répéter son vacarme, à la porte des riches catholique[1].


Le jeudi saint.

Le jeudi saint est un jour privilégié pour les chrétiens soumis à l’autorité du saint-siége. Ils ont conservé le droit d’user seuls de l’église du Saint-Sépulcre tout entière, depuis le matin du jeudi jusqu’au milieu du vendredi. Mais c’est un privilége dont les schismatiques ne tiennent pas toujours compte.

En arrivant au Parvis, nous remarquons, sur une plate-forme, un autel élevé par les Grecs. Comme il leur est interdit d’entrer dans l’église, ils officient et prient dehors. Il n’est pas encore huit heures du matin, et déjà la foule des chrétiens grecs, arméniens, maronites, cophtes, etc., est immense : les rues voisines, les terrasses des maisons et des couvents sont couvertes d’hommes et de femmes qui murmurent des prières. La piété calme en ce moment de cette immense multitude fait une grande impression sur l’âme.

Grâce à nos cavas, nous traversons la foule et nous entrons dans l’église. Quel contraste avec les scènes des jours précédents ! Tout y est solitude et silence. Nous sommes en si petit nombre que le temple me paraît cette fois presque grand et majestueux. Nous nous groupons devant l’autel dressé vers la façade du saint sépulcre, et devant l’estrade, siége du patriarche. Quelques dames, parmi lesquelles est ma nièce, les religieuses et des femmes arabes assistent à la messe, que l’on ne célèbre pas avec la précipitation ordinaire. Ensuite vient la communion.

Après l’office, on recommence la procession ordinaire autour du tombeau et vers la pierre de l’onction.

De retour devant le saint sépulcre, on reçoit la bénédiction du patriarche.

À deux heures, le célébrant lave les pieds de douze pèlerins de différentes nations. Il est ceint d’une serviette de lin, et suivi d’un diacre et d’un sous-diacre qui portent les serviettes et l’eau dans un bassin. Sur chaque pied lavé, le célébrant trace un signe de croix avec le pouce et dépose un baiser.

  1. Cet usage existe encore, le samedi saint, dans différentes parties de la France, et notamment en Normandie. (Voy. le Calendrier normand, par l’abbé Malais, 1860, p. 191.)