Page:Le Tour du monde - 05.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

[1]

mon dévouement ni de ma tendresse, elle m’y attendait. Mon cœur n’avait pas la plus petite objection à faire : mes goûts et ma raison en avaient mille, ce qui n’empêcha pas que quatre jours après, je m’embarquai à Marseille sur un bâtiment de la compagnie des Messageries impériales.

Peut-être, monsieur, auriez-vous désiré quelques renseignements pratiques à l’usage de ceux de vos lecteurs qui seraient obligés ou tentés de faire un voyage en terre sainte.

Dans ma précipitation, je n’avais demandé aucun conseil.

Je suis parti de France pour la Palestine, comme on va de Dijon à Paris, avec une malle, un carton à chapeau et un parapluie. En somme, malgré mon âge et mon peu d’habitude de pareilles aventures, je n’ai pas eu trop à me repentir de mes imprévoyances. Mon seul souci, en traversant la capitale, avait été de me procurer au ministère des affaires étrangères un passe-port pour l’Orient.

À Marseille, forcé d’attendre pendant près de vingt-quatre heures le départ du bâtiment, j’aurais eu, assurément, tout le loisir nécessaire pour faire des provisions et des emplettes à remplir trois ou quatre caisses, si j’avais voulu écouter les avis que me donnait un beau jeune gentilhomme parisien qui logeait, ainsi que moi, à l’hôtel Bauveau. À l’en croire, que de choses indispensables ! On ne pouvait se hasarder, me disait M. Alf. de T…, à mettre le pied en Orient sans péril de la vie, si l’on n’était armé jusqu’aux dents et vêtu à l’asiatique. Il s’ébahissait de voir que je n’achetais ni fusils, ni pistolets, ni éperons, ni selles arabes, ni sacoches à provisions de toutes sortes, ni boîte à pharmacie, etc. Il s’en fallut de peu qu’il ne se fachât tout rouge lorsque je lui répondis que je n’allais pas à Jérusalem pour y voir ou y faire le carnaval. Voyez les susceptibilités ! J’avais dans ma malle quelques vêtements de laine. Je portais sur moi mes vêtements d’hiver, flanelle et drap, et il me paraissait que mon caban, mon chapeau gris de campagnard, mes guêtres en cuir me feraient tout aussi bon usage en Orient que le beau burnous, le joli chapeau de paille, les fraîches guêtres en toile blanche et toutes les pièces élégantes de costume nouveau dont mon futur compagnon avait commencé à faire l’essai en pleine Canebière, lorsqu’un mistral féroce le jeta contre une muraille, si bien qu’il revint au plus vite et ne sortit plus sans s’emprisonner dans son paletot et enfoncer sa casquette jusqu’au bas de ses oreilles.

Je dois reconnaître toutefois qu’il me parut assez raisonnable d’acheter, à son exemple, quelques chemises de coton, un peu de quinine et de l’arnica. Je me procurai de plus une bonne carte de la Palestine, et l’Itinéraire à Jérusalem, encore que je ne fusse guère en humeur d’étudier ni de lire.

Pendant mon voyage, j’ai eu l’occasion de parcourir sur le bâtiment divers ouvrages où vos lecteurs trouveront toutes les instructions nécessaires : l’Itinéraire en Orient, descriptif historique et archéologique, par MM. Adolphe Joanne et Émile Isambert ; le Bulletin de l’œuvre des Pèlerinages en terre sainte ; le Handbook de Murray, etc.[2].


Sur le paquebot.

J’ai peur et horreur du mal de mer. À l’hôtel, on m’avait dit : « Restez au grand air, promenez-vous sur le pont. » Dès mon embarquement, je me suis couché dans ma cabine. Là, un citron d’une main, un livre de l’autre, j’ai cherché à tendre le plus possible mon attention sur la description de Jérusalem. Mais, ramené insensiblement à de longues réflexions sur la triste cause qui m’avait forcé d’abandonner si subitement ma bonne maison et à m’enfermer dans cette maudite petite prison de bois nauséabonde, je me perdis en conjectures sur la fatale idée qu’avait eue ma pauvre belle-sœur de partir pour la Palestine, seule avec sa fille, sans m’avoir demandé conseil ou seulement m’avoir averti. Bientôt le sommeil me gagna et dura je ne sais pendant combien d’heures.

Je fus réveillé par des chants. Je me hasardai à me lever et à monter sur le pont. Il était presque nuit. Des jeunes gens et quelques prêtres, réunis à l’arrière du bâtiment, chantaient l’Ave maris Stella. La mer était calme, le ciel était pur et scintillant : je n’éprouvai aucune souffrance. Un officier du bâtiment m’apprit que ce groupe religieux était une des caravanes qui, presque tous les ans, vont à Jérusalem, sous les auspices de l’œuvre des pèlerinages en terre sainte, fondée en 1854, à Paris. Ces pèlerins, dont le nombre s’est élevé quelquefois jusqu’à trente et quarante, ont toujours pour guide et directeur un ecclésiastique. À Marseille, ils entendent une messe dans la chapelle de Notre-Dame de la Garde, où l’on donne à chacun d’eux une petite croix en argent qu’ils portent sur la poitrine. On dresse d’ordinaire pour eux dans le bâtiment un petit autel portatif au fond du salon des premières, et l’on y célèbre chaque matin plusieurs messes. En général, leur pèlerinage dure soixante jours, dont quarante sont consacrés au séjour à Jérusalem et à l’exploration de la terre sainte. D’après des arrangements pris avec la compagnie des Messageries impériales et avec un habitant de Jérusalem, le prix total du voyage, à partir de Marseille, jusqu’au retour en France, nourriture comprise, est de mille deux cent cinquante francs pour la première classe, et de

  1. On peut recommander les cartes de la Palestine par Bergham, par Robinson et Smith, par Andriveau, etc. Voy. aussi la note suivante.
  2. Handbook for Syria and Palestine, un vol in-18. Londres, 1860. — Edward Robinson, Recherches bibliques sur la Palestine (en anglais), trois vol. 1856. — De Vogué, Les églises de Terre sainte, un vol. 1860 ; les lieux saints. — Gérardy-Saintine, Trois ans en Judée, un vol. Paris, 1860. — Munk, Palestine, un vol. (Univers pittoresque). — Coquerel, Topographie de Jérusalem, Strasbourg, 1843. — Les saints lieux, par Mgr  Mislin. — Eothen (traduit de l’anglais). — La correspondance d’Orient, par Michaud et A. Poujoulat, quatrième volume. — La Syrie, la Palestine et la Judée, par le R. P. Haorty Hadji. — Mme  de Gasparin, Voyage au Levant. — Le Voyage en Orient, par Lamartine, etc., etc.