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quille et lent, qui doit conduire l’un à sa soupe, l’autre à son râtelier avec une vitesse de quatre heures à la lieue. Comme je rentrais dans la ville, je rencontrai un régiment qui manœuvrait. Je ne saurais vous dire comment les soldats s’écartent dans les rangs de telle façon que cent hommes tiennent la place d’un de nos bataillons.


XI

DE STUTTGART À ULM.

La Wilhelma. — L’Alpe de Souabe et l’Alpe-Rude. — Le Hohenstaufenberg et les oiseaux noirs. — La porte de l’Orient.

Nous sortons de Stuttgart en longeant le Schlossgarten, longue promenade d’une lieue d’étendue, et nous atteignons le château de Rosenstein. On vante ses jardins, son palais arabe, la Wilhelma, où se trouvent, assure-t-on, de ces peintures décolletées que les mauvaises langues accusent les princes allemands d’aimer assez dans leurs villas. Le roi a dépensé aux coupoles indiennes et aux coquettes galeries de la Wilhelma tant de florins, que les bonnes gens du Wurtemberg ont murmuré le mot de folie. Ce qu’entendant, le roi s’est réservé a lui seul la jouissance de sa folie, et les portes restent obstinément fermées au nez des visiteurs.

Le fils du roi a aussi la sienne, un charmant pastiche italien et des mieux réussis, qu’on appelle la villa du Prince Royal ; mais quel air triste elle doit avoir, quand l’hiver lui ôte son soleil et sa verdure ; et comme alors on doit grelotter sous ces galeries à jour faites pour l’éternel printemps du ciel de Naples.

La vue dont on jouit du Rosenstein sur Stuttgart, Cannstadt et leurs environs est magnifique ; mais nous avons ce spectacle comme nous avons eu celui des Vosges : nous passons sous les fondations du château, par un tunnel de quatre cent vingt mètres, pour déboucher dans la vallée du Neckar, dont nous suivons la rive droite jusqu’à Plochingen, au milieu de vignobles et de champs de maïs. Plochingen n’est qu’un gros bourg ; Esslingen, que nous avons rencontré d’abord, est une ancienne ville impériale. Elle fut doncÉtat souverain avant d’être réduite au rang de simple municipe wurtembergeois. J’y ai vu fumer assez de ces grands tuyaux de briques qui servent aux usines de panaches, pour croire que l’industrie n’y manque pas. Du chemin de fer, je n’ai vu qu’une charmante silhouette de ville gothique du quinzième siècle : des tours d’églises qui se profilent sur un fond de montagnes verdoyantes et dominent de grands toits à tuiles vernissées ; un admirable clocher de pierre qui dessine sur le ciel ses hardies ciselures ; à gauche, des murs d’enceinte qui rampent sur le flanc d’une colline jusqu’à un vieux château bien ébréché par le temps et les hommes, mais encore de fière apparence ; enfin une ceinture de jardins en fleurs et d’arbres fruitiers qui unit la ville à la plaine. Pourquoi passons-nous si vite ?

À Reichenbach, nous entrons dans la vallée de la Fils, qui remonte jusqu’au centre de l’Alpe de Souabe, la dernière chaîne qui nous sépare du Danube.

L’Alpe de Souabe, appelée en quelques endroits l’Alpe-Rude, Rauhe-Alp[1], a des cimes qui montent à plus de mille mètres au-dessus du niveau de la mer, et sa masse, dans le nord-ouest, dépasse de mille pieds la plaine du Neckar. C’est, par sa direction, la composition de ses roches et sa disette d’eau, la véritable continuation du Jura helvétique qui meurt à l’embouchure de l’Aar dans le Rhin, en face du point où, de l’autre côté du fleuve, naît l’Alpe de Souabe.

La Rauhe-Alp ne saurait être comparée, pour la hardiesse des formes, aux chaînes de premier ordre ; elle m’a pourtant paru, dans la partie que j’ai traversée, une contrée très-pittoresque. Les vieilles forteresses féodales y pullulent.

Il y en a de neuves aussi. Le comte Guillaume a fait bâtir en 1838, au sommet d’un rocher à pic, le château de Lichtenstein, dans le style du quinzième siècle.

Château de Lichtenstein.

J’aime bien mieux regarder un peu plus loin les ruines magnifiques et véritables du Rechberg.

Près de là, sur une autre montagne conique et isolée, quelques murs informes marquent encore la place où fut le berceau de la puissante maison de Hohenstaufen, et où Frédéric Barberousse, la plus grande figure du moyen âge allemand, tint sa cour impériale. Le château redouté est tombé ; une petite chapelle où

  1. Le Schwabische-Alp s’étend de la source du Neckar à celle de l’Iaxt, sur une longueur de trente-six lieues et une largeur moyenne de cinq à sept. La partie la plus élevée et la plus sauvage, entre la Lauchart et Zainingen, porte particulièrement le nom de Rauhe-Alp. Le Hohenberg y atteint mille vingt-sept mètres et le Hohenzollern neuf cent seize ; le Hohen-Neuffen est presque aussi haut. Burgbühl, près d’Obernheim, à neuf cent soixante quinze mètres, est le point le plus élevé où le blé croisse dans l’Alpe, et Burgfelden, à neuf cent seize mètres, en est un des villages situés le plus haut.