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n’avons aucune idée en Europe. Devant moi s’étendaient quelques prairies naturelles, dont l’herbe, desséchée par les chaleurs prématurées de l’été, couvrait la terre d’un tapis jauni. Au printemps, ces mêmes herbes s’élèvent jusqu’à hauteur d’homme ; elles étalent dans les champs des bouquets de fleurs aux couleurs vives et variées.

Un rideau de collines, couvertes de bruyères, enserrait un ruisseau, dont quelques mineurs lavaient les sables, et à l’horizon des cimes plus élevées fermaient le paysage. Elles étaient couronnées de sapins et de cèdres au feuillage sombre. Sur les flancs de ces montagnes, on distinguait des filons de quartz aurifère, levant leur tête au-dessus du sol, comme une muraille blanchie. Non loin de ces affleurements étaient ouverts des travaux de mines.

Dans l’étroite vallée qu’arrosait le Maxwell’s-creek (ruisseau de Maxwell), on apercevait quelques cabanes isolées où vivaient les mineurs libres des placers, puis une cantine et une baraque pour les ouvriers travaillant au compte d’un patron dans les mines de quartz. Les placers sont les dépôts de sables, les terres d’alluvion, où l’or, entraîné par les eaux de la surface, se retrouve à l’état de paillettes et de pépites. Les mines de quartz sont au contraire des gîtes aurifères en place, où le précieux métal existe en lamelles, en filaments, en petits cristaux et même à l’état de points microscopiques dans des filons ou des veines de quartz, c’est-à-dire de cristal de roche compacte.

Souvent avec P…, nous allions visiter les mines des environs, ainsi que les moulins à quartz. On appelle de ce nom les établissements où le quartz est broyé sous des pilons mécaniques et amalgamé ensuite avec le mercure. Le mercure a la propriété de dissoudre l’or, comme l’eau le sucre. Il le restitue ensuite par la distillation, et c’est ainsi que se recueille en Californie tout l’or des mines de quartz.

Le lavage des terres de Maxwell’s-creek n’était en ce moment opéré, à cause du peu d’eau disponible, que par quelques Chinois, travailleurs infatigables ; ou par des Mexicains et des Chiliens, artistes des placers, et ne s’occupant qu’à leurs heures. Il y avait aussi quelques Français qui, sans apporter à l’ouvrage toute l’ardeur qu’y mettaient les Chinois, se montraient cependant moins paresseux que les Mexicains.

Tous se servaient du berceau et de la battée. On connaît déjà le berceau. La battée est une espèce de grande cuvette en fer battu ou en bois, dans laquelle on met les sables à laver. On plonge le tout dans l’eau, et l’on imprime un mouvement oscillatoire à la battée, que l’on tient des deux mains. Les matières légères s’échappent avec l’eau, et les paillettes d’or finissent par rester seules au fond de l’appareil.

Dans les mines de quartz et les moulins d’amalgamation travaillaient des Anglais et des Irlandais, ainsi que des Chiliens et quelques Américains. Le travail consistait à abattre, à la poudre et avec des fleurets d’acier, le minerai compacte. On le sortait avec un treuil des chantiers souterrains, on le triait et on le descendait ensuite à l’usine d’amalgamation, où il était broyé et mêlé avec le mercure. C’est de cette même façon qu’on opère dans toutes les mines de quartz.

Je retrouvai à Coulterville le climat que j’avais rencontré à Stockton, et qui est celui de toute la Californie pendant l’été, hormis cependant San Francisco. C’est l’époque de la saison sèche ; aucune goutte de pluie ne vient mouiller le sol pendant plus de sept mois de l’année. De juin à novembre, aucun nuage ne couvre le ciel. La chaleur, pendant le jour, s’élève très-haut, surtout de midi à trois heures, et il n’est pas rare de voir alors le thermomètre monter jusqu’à quarante-huit degrés centigrades. La Syrie, l’Inde et le Sénégal n’offrent pas de températures plus élevées. Les effets de cette grande chaleur se font partout sentir ; les vêtements les plus légers deviennent intolérables, et la continuelle transpiration amaigrit bien vite le corps. Dans les appartements, les meubles craquent et se fendent, la couverture des livres se racornit ; les objets en fer brûlent littéralement les mains, les bougies fondent et le beurre se transforme en eau. Le matin et le soir, les brises qui s’élèvent le long des vallées tempèrent cette chaleur plus que tropicale, et la nuit le thermomètre baisse beaucoup. Un nouveau vêtement devient alors indispensable, mais la sérénité du ciel n’est aucunement troublée par cet abaissement de température. L’air conserve sa limpidité et sa transparence ; aucun dépôt de rosée ne se forme ; aucune vapeur ne s’élève, et, pendant tout l’été, les mineurs dorment sans danger au grand air, roulés dans leurs couvertures.

Je fus heureux de faire à Coulterville la connaissance d’un compatriote, ingénieur civil et ancien élève de l’école centrale de Paris. Venu en 1850 en Californie, au service d’une de ces compagnies d’émigrations qui expédiaient alors des mineurs vers l’Eldorado, il ne tarda pas d’être abandonné avec tous ses ouvriers, et dut chercher un emploi. Il trouva d’abord à s’occuper comme directeur des travaux sur les mines de mercure de New-Almaden ; puis, ces mines ayant été momentanément fermées, il fut réduit pour vivre à travailler comme ouvrier sur les placers. Enfin, il s’occupait, en qualité de géomètre, du tracé des canaux, quand il fut appelé à Coulterville, par une compagnie française, pour y prendre la direction d’une mine et d’une usine à quartz.

Nous liâmes vite connaissance, et comme il avait parcouru le pays jusque dans ses derniers recoins, je le priai de m’accompagner dans une visite aux chutes de Yohemity et à la forêt des arbres géants ou des big trees, comme l’appellent les Américains. Ce sont les deux merveilles de la Californie, et le comté de Mariposa s’en enorgueillit avec raison.

Il nous fallut trois jours, à dos de mule, pour arriver de Coulterville aux chutes de Yohemity. Nous nous élevâmes d’abord sur le plateau du Buck-Horn, où des cèdres et des sapins gigantesques portaient jusque dans les nues leur tronc élancé. C’étaient en quelque sorte les