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seul espace sur lequel les voyageurs européens n’aient pas l’ombre d’une donnée certaine. Le contour de cette région peut être dessiné par une ligne qui part des montagnes de Cristal sur le Gabon, va rejoindre les cataractes de Jellala sur le Congo, gagne à l’est la ville de Mua-taya-nvo, capitale du Muropua, puis passe successivement par les points suivants : Lucenda, capitale du Cazembe ; la rive ouest du lac Ujiji, la ville de Kibuga, les diverses tribus au couchant du fleuve Blanc, le Tertyt, les États musulmans de Baghirmi et Adamoua, le mont Labul, et enfin le Gabon. On peut suivre la plus grande partie de ce périmètre sur la carte qui accompagne cet article (page 176).

Ce qui a empêché de pousser plus loin les découvertes dans cette région, c’est l’absence probable de grands États pouvant offrir quelques garanties aux voyageurs européens. On a fait plusieurs voyages dans les empires de Dahomey, d’Achanti, de Congo, dont les souverains font respecter à de grandes distances les blancs qui visitent leurs États avec leur autorisation ; mais on s’aventure moins volontiers dans des pays où l’on est exposé à être rançonné de cinq en cinq lieues par des tribus qui se détruisent et parfois se mangent les unes les autres. M. Fresnel, dans son étude sur le Ouaday, a donné des itinéraires de caravanes allant de ce pays vers le sud : Barth nous en a transmis quelques autres ; quant aux données des Portugais sur le pays au nord du Congo, elles se réduisent à huit ou dix noms, et Bowdich, qui étudiait ces régions il y a quarante ans, est le seul à nous avoir transmis des notes confuses sur les territoires et les tribus avoisinant le Gabon. L’Afrique centro-équatoriale n’en est pas moins restée un blanc immaculé sur nos cartes, depuis qu’il a fallu renoncer au bénéfice des découvertes fantastiques du malheureux Douville.

Dans ces dernières années, il y avait à Sierra-Leone un missionnaire allemand appartenant à la Church Missionary Society de Londres, le Rév. Koelle, qui, frappé du grand nombre de travailleurs noirs (esclaves affranchis) de diverses tribus africaines réunies sur ce point comme dans une colonie expérimentale, eut l’idée d’interroger séparément ces noirs et de leur demander une liste de mots dans leur langue maternelle et diverses notions géographiques sur leur pays. Il arriva ainsi à constater ll’existence à Sierra-Leone d’individus de deux cents tribus distinctes, toutes comprises, sauf cinq ou six, entre le 15° parallèle nord et le 15° sud, c’est-à-dire appartenant à la Guinée, à la Sénégambie, au Soudan et aux contrées habitées par la race Cafre-Molua. C’est à cette enquête si précieuse que nous empruntons une grande partie des renseignements qui vont suivre. M. Kœlle s’est interdit rigoureusement tout commentaire sur les données plus ou moins naïves transmises par les noirs : « Living natives, dit-il, were the only source from which the information was derived : no book or vocabulary of any sort was consulted. »

La géographie physique est celle qui change le moins : essayons d’en deviner les principaux traits pour le pays qui nous occupe, et qui n’a pas moins de cinq cents lieues de long sur trois cents de large. Y a-t-il, dans cette vaste étendue de pays, quelque grande artère fluviale ? On a quelquefois supposé que le Gabon n’était que l’embouchure d’un grand fleuve venant de l’est, et l’importance de son estuaire semblait favoriser cette hypothèse. Un savant géographe allemand appelle même le Gabon un des cinq fleuves africains de premier ordre. Mais d’une part, M. Dumesnil, lieutenant de vaisseau, qui a remonté la rivière principale du Gabon (le Como) en 1857, à quelques lieues au-dessus de Gango, n’a plus trouvé à cette distance qu’un cours d’eau à peine navigable à des canots : le Gabon n’est donc qu’un estuaire. D’autre part, les derniers travaux de M. Vallon, lieutenant de vaisseau, sur divers golfes de la côte de Guinée entre la Cazemance et Sierra-Leone, ont donné la certitude que ces golfes ne sont, pour la plupart, que des impasses creusées par la double action de la mer et des torrents pluvieux qui descendent du plateau intérieur. Les observations faites sur le Gabon s’appliquent aux autres rivières du golfe de Biafra.

Barth nous a décrit le cours inférieur de plusieurs grands affluents qui viennent finir au Niger et au Tchad, comme le Benué ou la mère des eaux, le Serbeoyel et le Chary, que d’autres nomment Bousô. Nul doute que ces superbes cours d’eau n’aient un cours supérieur assez long, qu’on peut libéralement évaluer à 100 lieues. Tout élément d’évaluation manque pour les affluents du Nil, marqués sur notre carte : quant au Keilak, il serait hasardeux de lui donner plus de 220 lieues. Mais même en exagérant l’importance des bassins du Nil, du Tchad, du Niger, du Congo et des grands lacs de l’est, il restera toujours un énorme vide qui doit former un bassin intérieur, à moins qu’on ne suppose que ce soit un désert brûlé, ce qui est inadmissible, comme nous l’allons voir.

Cherchons d’abord dans le livre de M. Kœlle s’il est parlé d’un grand fleuve voisin de l’équateur.

En partant du pays des Diwola (rivière Cameroons), on arrive après un long voyage, au pays de Mfut, où coule la rivière de Deba, qui se franchit à gué en certains endroits, durant la saison sèche. La Deba vient du pays de Ndob, et vers Onbenkoa elle reçoit une rivière moindre, appelée Mepoan, dont l’eau est rouge comme le feu, et qui est guéable dans la saison sèche : à quelque distance au-dessous du confluent, les eaux rouges du Mepoan gardent leur couleur et ne se mêlent point à celles du fleuve principal. — La Deba s’appelle aussi Liba et Riba, et coule à l’est, vers le pays de Rufuma, où elle tombe dans le grand lac Liba. — Avant cela, elle coule du pays de Momenya à celui de Boréfo : le premier n’est qu’à deux ou trois jours de Papiah, qui est à l’ouest de Param. Or, la capitale du Param est à une heure du grand fleuve Nen, qui vient du pays de Kob à l’est : « il est si large que d’une rive on ne peut pas voir l’autre : et là où il est le plus étroit, si on regarde un homme placé sur la rive opposée, il ne paraît pas plus grand qu’un enfant. »

Dans la carte qu’il a dressée pour accompagner la