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truire la vie là où elle est si rare, saisit son fusil ; mais à la vue de l’arme, et surtout du porteur qui se met à lui courir sus, l’animal détale et disparaît.

Nous allons longtemps ainsi. À perte de vue s’étend l’horizon, d’une aridité absolue : cela brûle les yeux et donne soif. Pas un brin d’herbe, pas un vol d’oiseau, pas un bruissement d’insecte, pas un souffle de vent. Je retrouve autour de moi toute la solennité et le silence de la vallée de Biban-el-Molouck qui conduit de Thèbes aux tombeaux des Pharaons. C’est bien aussi le lieu qui convient à une nécropole. Cette solitude complète, ce silence effrayant, cette aridité implacable vous font rêver d’un globe où la vie, soit végétale, soit animale, n’aurait pas encore paru ou d’où elle se serait retirée depuis des siècles. Certes, s’il y a au monde un lieu propre à la vie contemplative, c’est celui-là, et il devait merveilleusement favoriser les longues méditations des vieux anachorètes. Là commence, en effet, la Thébaïde des anciens, et rien ne manque à l’idée que l’on se fait de cette grande solitude. La Thébaïde ou haute Égypte, comprenant les déserts au delà des chaînes Libyques et arabiques, faisait suite à l’Heptanomide ou moyenne Égypte, qui finissait aux environs de Cuses, c’est-à-dire à peu près au point où le désert de l’est s’étend jusqu’à la mer Rouge, à la hauteur de l’extrémité de la presqu’île du Sinaï. Les déserts du sud-est et du sud-ouest d’abord, puis celui de Scété au nord-ouest, servirent de retraite à ceux qui, convertis par les prédications des évangélistes Luc et Marc, imitèrent l’exemple de saint Antoine.

Le champ de Daklé. — Dessin de Karl Girardet d’après M. Georges.

Tout en songeant, je cherche de l’œil aux alentours une ouverture quelconque, un rocher plus ou moins largement troué, et pouvant servir d’entrée aux souterrains. Bientôt le guide s’arrête et me montre devant nous une crevasse irrégulière, à fleur de terre, d’un mètre environ de diamètre et profonde de trois : voilà l’entrée des grottes.

Avant de descendre, je gravis une éminence voisine pour jeter un coup d’œil sur l’étrange pays qui nous environne. Partout, à la surface, du granit, et des efflorescences de mica étincelant, pareil à de l’alun ; vers l’est, une interminable succession de monticules arrondis et médiocrement élevés. Un large lit de sable jaune ondule en méandres infinis, disparaissant et reparaissant jusqu’aux limites de l’horizon. On dirait le lit desséché de courants d’eaux pluviales, ou un torrent aux eaux limoneuses. Ce qui ajouterait à l’illusion, sans le bleu désespérant du ciel, c’est que ces mamelons sablonneux ont l’air de ruisseler d’une pluie d’orage. Hélas ! celui qui se figurerait que ces déserts, calcinés par les ardeurs du soleil, ont au moins leur jour de pluies abondantes, serait la dupe des apparences ; ce lit trompeur n’est pas le sillon des eaux taries : c’est au contraire la trace des vents brûlants qui entassent le sable dans la vallée autour des mamelons. On rencontre souvent de