nage doit, selon l’usage mahométan, se composer de toute une feuille ; il n’est permis d’écrire que sur la première page ; si elle ne suffit pas, il faut prendre une deuxième, une troisième feuille.
Quand on eut fini de donner lecture de la lettre, on servit des rafraîchissements. À cet effet, on avait apporté pour le sultan une assiette, et pour moi tout un couvert. Les rafraîchissements se composaient de thé sans sucre et sans lait, de friandises et de fruits servis sur plus de vingt petits plats de verre bien taillé. Toute l’assemblée prit part à ce repas.
Après le repas, le sultan me conduisit dans la chambre des femmes. Ici, on avait eu également la politesse de me préparer une place plus élevée. Le sultan me présenta sa femme et ses filles, créatures du vrai type malais. Vêtues de simples sarongs, montant jusqu’à la moitié de la poitrine, elles différaient autant de tenue que de traits d’une élégante de même race, pourtant, mais native d’une des îles orientales de la Sonde, et que je rencontrai quelques jours plus tard à Pontianak.
Le sultan de Sintang, véritable despote, a défendu à ses sujets de prendre plus d’une femme, et n’a réservé le droit de polygamie que pour lui seul.
Je fus très-étonnée de sa réception solennelle, d’autant plus que d’abord elle avait lieu en partie à l’européenne, et qu’ensuite je savais que le sultan de Sintang n’avait pas encore vu d’Européen. Mon domestique m’expliqua cette énigme : la veille, lorsqu’il avait porté la lettre au sultan, celui-ci n’était pas absent comme on me l’avait dit ; mais ne sachant pas comment il fallait recevoir une Européenne, il avait voulu d’abord consulter à ce sujet mon domestique. Celui-ci lui dépeignit les cérémonies qui ont lieu à Sarawak, quand le rajah Brooke revient d’un voyage, et c’était grâce à cette description que j’avais été reçue comme une souveraine. La chaise, la table furent confectionnées en toute hâte, et la vaisselle n’était autre que la mienne, apportée par mon domestique.
En prenant congé de moi, le sultan me promit de mettre à ma disposition un sampan (bateau court et large) pour me conduire jusqu’à Pontianak. Je le priai de me l’envoyer le lendemain au lever du soleil.
3 février. — Immédiatement après le lever du soleil, on m’annonça la visite du sultan : car, selon ses idées, il n’était pas convenable qu’il me rendît ma visite le même jour ; mais comme je devais partir de si grand matin, il était forcé lui-même de choisir une heure matinale.
Il arriva accompagné de son père, que je n’avais pas encore vu, et de quelques-uns de ses parents du côté maternel. Les femmes de princes ne rendent pas les visites.
Le père du sultan portait un petit bonnet et un corsage en brocart d’or ; c’étaient, en fait de vêtements, les premiers objets précieux dont je voyais paré un prince de Bornéo. Indépendamment des beautés ordinaires propres à sa race, cet homme était encore doté d’un goître remarquable, le second que j’avais occasion de voir dans cette île : le premier, d’une grosseur moins saillante, ornait le cou de la femme du rajah de Beng-Kallang-Boenot.
Cette société distinguée ne montrait pas la moitié de la réserve dont les chasseurs de têtes, les Dayaks, avaient fait preuve. Ils ouvrirent et fouillèrent tout ; ils se jetèrent comme des bêtes fauves sur mon petit sac de voyage, resté malheureusement ouvert. Je n’avais pas assez d’yeux pour garder toutes mes richesses, particulièrement les insectes et les reptiles, et pour les préserver de tout dommage. Le père du sultan finit par s’emparer du sac et de son contenu ; et indiquant du doigt le peigne, la brosse à dents et le savon, il me demanda à quoi cela servait, et, à la suite de mon explication, l’utilité de ces objets lui parut si évidente qu’il me déclara sans autres façons qu’il les gardait pour lui. Mais, avant qu’il s’en allât, je les lui repris avec aussi peu de cérémonie, et je lui donnai en échange quelques images et autres bagatelles.