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ment hollandais. L’arme ainsi consacrée ne devait plus être teinte à l’avenir du sang des captifs sans défense : son possesseur devait la ménager pour de plus nobles exploits, et ne la brandir que contre les perturbateurs de l’ordre et de la paix générale.

Mais s’il m’avait suffi de quelques exhortations sérieuses pour amener Awat à des sentiments plus humains et détruire ses préventions à l’égard du gouvernement néerlandais, il n’était pas si facile de lui faire abandonner ses préjugés religieux. En vue de s’attirer richesse et prospérité, il avait attaché à son ceinturon, avec quantité d’autres amulettes, un morceau de bois sur lequel j’avais dessiné au crayon une figure de poupée. À son retour à Tampang, il se proposait de sacrifier un coq aux esprits régulateurs des destinées humaines, afin de tremper dans le sang le nouveau talisman.

Awat était vraiment ému lorsqu’il me fit ses adieux, après avoir reçu un pavillon hollandais. La place qu’il laissait vide dans mon prahou fut prise par Raden, mari de Niai-Balau. Comme nous avions plusieurs cataractes difficiles à franchir, ce chef eut la bienveillante attention d’augmenter mon équipage de vingt hommes qui devaient donner un coup de main à mes rameurs, dans les endroits les plus rapides et les plus dangereux.

Vue extérieure d’un kampong palissade. — Dessin de Français d’après Schwaner.

Je m’arrêtai à Rotta-Ménangeh pour y passer la nuit, du 4 au 5 décembre, pendant que Raden continuait le voyage pour aller annoncer mon arrivée au tomonggong Toundan. Ce dernier a établi sa demeure sur la cime arrondie du Pohon-Batou, mont escarpé qui n’est accessible que du côté du nord-ouest. Il fallut franchir plusieurs grandes cataractes avant d’arriver au balai tomoi (maison des étrangers), où l’on débarque pour se rendre à l’habitation de Toundan. Le fleuve longe la paroi occidentale du Pohon-Batou, qui le domine à pic de quatre cents pieds au moins. Il a dû s’ouvrir de force un passage à travers le roc dur, qui lui opposait une digue. Autrefois, dit une tradition populaire, le Baton-Souli barrait la rivière ; mais les poissons se plaignirent si fort d’être arrêtés par cet obstacle insurmontable, qu’à la fin un san-sang ou ange enleva de sa puissante main le Batou Souli et le transporta sur la rive du fleuve, où il est encore.

Traduit du hollandais par Beauvois.

(La fin à la prochaine livraison.)