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rer préalablement les désordres de leur toilette. Pour nous, les hommes, on avait disposé dans une grande salle précédant celle du festin, quelques lavabos pleins d’eau, et une serviette commune tournant autour d’un rouleau supérieur. Un peigne, suspendu au mur par une ficelle, devait servir également à tous. Enfin des brosses et du cirage complétaient ces appareils de toilette. Mon excursion dans les États-Unis m’avait déjà mis au courant de ces habitudes démocratiques, dont je ne m’étonnais plus. Je m’inondai la face d’eau fraîche, je m’essuyai avec mon foulard, me brossai à la hâte, et je passai dans la salle du festin. Je m’assis entre un mineur à la face brunie par le soleil, et un fermier au teint coloré. Mon compagnon, un peu en retard, se plaça du mieux qu’il put.

Je n’ai point encore parlé de la façon dont sont servis ces repas américains en voyage, et il est temps d’en dire quelques mots.

Sur une table, à la nappe douteuse, sont étalés, dans de petites assiettes, quelques légumes bouillis. Ici, un navet ou une carotte ; là, un oignon ou une pomme de terre. Chacun pique de sa fourchette l’échantillon placé devant lui. Bientôt arrive le plat de résistance, le bœuf ou le mouton rôti, qu’on sert à la ronde. On finit par un plat de douceur : pâté à la rhubarbe ou aux fruits. On avale le tout dans la même assiette, et en moins de dix minutes ; car le temps, c’est de l’argent : time is money, dicton anglais en grand honneur aux États-Unis. De serviettes, point ; et chacun s’essuie du mieux qu’il peut, à son mouchoir ou au bout de nappe qu’il a devant lui. L’Américain met volontiers les coudes sur la table ; mais, à part ce petit défaut, c’est un convive auprès duquel on peut toujours s’asseoir, quel qu’il soit. Pas le moindre cri, pas la moindre dispute ne vient interrompre le silence de la table d’hôte.

Quais de San Francisco. — Dessin de Chassevent d’après une gravure californienne.

Après ce repas de Spartiate, dans lequel on boit de l’eau le matin, et le soir du thé ou du café, on passe à la buvette, où l’on paye son écot. Là, le yankee a l’habitude d’ingurgiter quelque spiritueux, pour aider à sa digestion. Je professe pour les États-Unis en général, et pour la Californie en particulier, la plus grande admiration ; mais je dois avouer que je n’ai jamais pu m’habituer à la façon de manger des Américains. Je l’ai décrite à grands traits au lecteur ; que serait-ce si j’eusse abordé les détails ?

À peine eûmes-nous achevé notre dernière bouchée, que l’automédon qui menait notre coche vint nous prévenir de remonter en voiture. Il avait déjà changé les chevaux et mis tout en ordre pour le départ. Il n’y a pas de conducteur sur les voitures américaines : c’est le postillon qui fait tout le service, et qui accomplit seul tout le trajet. Il charge et décharge les malles, soigne