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et de l’Amérique. Les pêcheurs, les navigateurs ont été la plupart, à de certains degrés, des Colombs. Chacun a fait sa découverte. La science s’est peu à peu formulée ; peu à peu la mer a eu ses historiens, ses géographes, ses guides. Il y a maintenant des cartes de la mer, des étapes, des haltes. À quelles magnifiques découvertes ne parviendrons-nous pas ! Où s’arrêteront la boussole, la vapeur, le télégraphe électrique et le génie de l’homme !

Si je quitte mon fauteuil et cette mappemonde prophétique, j’aperçois de mon balcon le Danemark et la Suède, le Cattégat, le Sund, et sur le Sund deux à trois cent cinquante navires par jour. Il en passe par an, sous la terrasse où je suis, plus de quinze mille, d’après des drapeaux de toutes les nations. Ces navires vont de la mer du Nord à la mer Baltique, ou de la Baltique à la mer du Nord. C’est un spectacle indescriptible. Le Sund est la grande route mouvante des peuples. Toutes les marines s’y rencontrent et s’y mêlent avec leurs bannières diverses.

Le portier majestueux de ce détroit est un général : c’est le gouverneur du château de Kronborg.

Le droit payé jadis au château de Kronborg par toutes les nations n’existe plus. Il était fondé sur ce que la forteresse était un fanal et un asile au besoin. Ce droit, fort contestable, et que le monde maritime pouvait abolir d’un mot, a été capitalisé. Chaque nation s’est rachetée de cet impôt par un sacrifice d’argent. L’Angleterre a tout payé d’une fois. La France, la Prusse, la Russie et les autres puissances s’acquitteront par annuités. C’est l’Amérique, ce sont les États-Unis qui ont provoqué et déterminé la solution de cette question du Sund.


X

Le château de Kronborg. — La légende d’Olger Danske. — Une maison de paysan. — Le vieillard, sa fille et son fils. — La ville d’Elseneur.

J’ai examiné pendant plusieurs heures le château de Kronborg. J’ai commencé par les souterrains extérieurs ; je n’en ai rapporté qu’une légende, la plus populaire, il est vrai, de tout le Danemark. Cette légende est celle d’Olger Danske, l’Ogier de nos vieux romans. Je vais raconter ce géant, que j’ai eu le malheur de chercher sans le trouver.

Olger Danske, le plus terrible des guerriers scandinaves, est le génie tutélaire du Danemark. Il était de la plus vieille noblesse dynastique. Selon une tradition généralement accréditée, il était fils de Gœtrik, un roi danois contemporain de Charlemagne. Selon une autre tradition, il est même antérieur à Odin, qui, comme dieu, est aussi ancien que la lumière, mais qui, en sa qualité de conquérant asiatique, ne date que d’un demi-siècle avant Jésus-Christ.

Quoi qu’il en soit de la généalogie d’Olger Danske, ce qu’il y a de certain, c’est qu’il était prince de Séeland, cette île séparée de la Scanie par le Sund, cette terre qu’il nomma lui-même Sœdlandia, terre des semences, et qu’il aima toujours, et qu’il aime encore de toute la tendresse dont l’enfant aime son berceau.

Il voyagea néanmoins dans les pays étrangers, dans les royaumes lointains, Olger Danske à la longue épée. Après une défaite des Danois, où il combattit en lion et où il blessa Roland, neveu de Charlemagne, l’empereur le demanda comme otage et le garda prisonnier dans une tour sur le Rhin. Il s’y ennuyait beaucoup, le triste captif ; car il n’avait aucun goût pour l’Allemagne ni pour le fleuve allemand ; il ne songeait qu’aux flots du Sund, aux moissons d’or et aux forêts de hêtres de son île, de sa Séeland.

Ce fut Roland qui le délivra au nom de son oncle Charlemagne. L’empereur mettait une condition à la liberté d’Olger Danske, c’est qu’il irait à Rome, secourir le pape assiégé par les Sarrasins dans la capitale du monde chrétien. Olger Danske fut très-heureux de cette condition. Il détestait les infidèles autant que les Allemands. Il tailla en pièces tous ces mécréants, et pas un ne s’en retourna à Stamboul.

Embrassé par Roland, loué par Charlemagne et béni par le pape, Olger Danske entreprit des voyages et des traversées sans nombre. Il fit dans l’Orient, dans la Germanie, en Espagne, en Italie, en Angleterre et en France, des exploits à remplir vingt poëmes épiques. Il ne peut mourir, car il a mangé à Golconde un fruit de vie à l’arbre de l’éternité.

Il a été aimé de plusieurs princesses. Il a été retenu quinze ans par une fée dans une île enchantée de l’océan ; mais le bon Olger Danske n’adore, lui, que sa patrie danoise. Il ne veut épouser qu’elle. Il eut une distraction pourtant à Paris. Il allait fléchir à la passion d’une reine de France pour lui, et se marier dans la cathédrale de Notre-Dame, lorsque la fée jalouse l’enleva au moment de la cérémonie nuptiale et le transporta dans le château de Kronborg.

C’est là que dort content Olger Danske. Il sait en rêvant qu’il est dans son caveau de Séeland. Il ne désire rien de plus. Le Danemark est désormais son unique sollicitude. Quand le Danemark est en péril, Olger sort de son sommeil ; il y retombe quand le danger est passé.

Le caveau du fils de Gœtrik est vaste ; car le solitaire est de grande taille, de plus grande taille que Sigurd et les Nibelungs. Il est assis sur un roc, le corps penché, le coude appuyé sur une table de pierre, la tête sur son poignet droit. Sa barbe blonde, sur laquelle les siècles glissent comme des minutes, sans la blanchir, sa barbe aussi blonde que ses cheveux, entoure mille fois la table de ses replis, perce la terre, semblable à un réseau de racines, et pénètre jusqu’au Sund. Quelquefois cette barbe, soulevée par les vagues, flotte dans l’azur de la mer, et les navigateurs étrangers disent : « Voilà de belles algues ! » Mais les matelots danois répondent : « Non, non, ce ne sont pas des algues, c’est la barbe d’Olger Danske. »

Qu’arriverait-il si la patrie appelait le vieux paladin ? Comment se dégagerait-il de sa barbe ? C’est lui-même qui la couperait avec son épée tranchante, suspendue à la voûte de sa grotte.