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Ces châteaux de barons ou de comtes, ou simplement de riches, ont une signification sociale et politique. Parfois des territoires vastes comme des petits royaumes s’y rattachent, et les nobles ont des possessions aussi étendues que des souverainetés.

Ici, c’est le baron Juel qui, de son château de Waldemar, règne en grand propriétaire sur l’île de Taasinge ; là, c’est le comte Ahlefeldt Laürvigen qui, de son château de Taanehjoer, à Langeland, n’aperçoit en quelque sorte qu’une frontière à ses domaines, et c’est la Baltique. Ailleurs, c’est le comte Knuth, dans l’île de Laaland ; le comte Daneskiold dans l’île de Samsoë ; le comte Guillaume Molke, à Bregentved ; le comte Juell-Wind-Frys, le plus grand propriétaire, je crois, du Danemark, dans sa résidence de Frysenborg en Jutland. C’est le château de Gram en Slesvig ; ce sont, en Séeland, les châteaux de Svaneholm, de Holmegaard, de Kongsdal, de Lystrup, de Ravnstrup, de Svenrtrup, de Nœsbyholm, de Gissefeldt, d’Adlersborg, de Borreby, de Lovenborg et de Holstenborg ; en Fionie, c’est le fief de Moltkenbourg, dont Glorup n’est qu’une des terres et une des résidences ; ce sont les châteaux de Skovsbo, de Ravnholt, d’Obœklunde, de Nakkebolle, de Hollufgaard, de Brahetrolleborg, d’Egeskow, de Likkesholm, de Holckenhavn, de Rigaard, et bien d’autres qui sont pour la plupart de la fin du seizième siècle ou du commencement du dix-septième, de 1550 à 1650. Ils symbolisent féodalement un immense espace du Danemark, qui renferme dix-huit comtés, quatorze baronnies et quarante-sept fiefs.


Les terres privilégiées sont inaliénables, substituées, impartageables, hors du droit commun des cadets, des créanciers et des autres propriétés.

Le Danemark, avec la plupart de ses châteaux de Séeland, de Fionie, de Jutland, de Slesvig, de Holstein, de Lauenbourg et des petites îles, est donc une contrée féodale comme l’Angleterre. La parole y est possible et la presse aussi. L’agriculture, le commerce, l’instruction, la marine y fleurissent à l’envi. La Suède, l’Allemagne, la Pologne et une grande partie de l’Europe est encore modelée sur ce plan traditionnel. C’est un système très-logique, très-enraciné, très-fort par les coutumes, par le prestige des anciennes races, par les splendeurs, par les générosités et par l’exemple de l’Angleterre, qui est comme la clef de ce monde ancien.

Il vivra longtemps encore, mais il finira par crouler parce qu’au fond il est un privilége excessif.

Château de Likkesholm, en Fionie. — Dessin de Thérond.

Que l’on en soit heureux ou contristé, il faut le reconnaître, c’est la France qui est l’exemple du monde moderne, comme l’Angleterre l’est du monde ancien. La France ruine les majorats, elle protége les créanciers. Elle respecte plus l’équité que le nom. Elle a un petit article de son code civil plus terrible que toutes les lois agraires. Cet article, ce coin d’acier dans le système du moyen âge, c’est l’article qui brise le droit d’aînesse et qui garantit à tous les enfants une même part de propriété, comme la nature leur réserve une même part d’affection. Tel est le texte fatal aux aristocraties. Ce texte même fut pour la France plus qu’un texte : il fut une étincelle, et cette étincelle alluma l’incendie qui achève de consumer tout notre monde féodal.

Dargaud.

(La fin à la prochaine livraison.)