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ce qui serait un écueil. Tout en maintenant les règles, elle doit faire une large part à l’inspiration individuelle. Son rôle est d’affranchir, non d’opprimer.

Fondée par Christian Ier, dans le quinzième siècle, elle fut dotée magnifiquement par Christian III. Elle est, par ce prince, fille de la réforme luthérienne. Elle n’a pas cessé d’être la pépinière de tous les hommes éminents ou utiles du pays, des ministres et des ambassadeurs, comme des avocats, des pasteurs, des juges, des ingénieurs et des médecins. Il n’y a que les marins et les soldats qui aient des écoles spéciales, distinctes de l’université.

Indépendamment de son enseignement, prospèrent des instruments accessoires de civilisation, et principalement les bibliothèques et les musées.

Il y a trois bibliothèques publiques à Copenhague : la bibliothèque léguée par le général Classen, la bibliothèque de l’université elle-même et la bibliothèque du roi. La bibliothèque du roi est la plus intéressante et la plus nombreuse. Elle contient près de cinq cent mille volumes avec beaucoup de manuscrits, soit islandais, soit orientaux. C’est là qu’on peut toucher les Edda, et qu’on se sent enveloppé du monde mystérieux des épopées, des sagas et des ruhnes. J’ai remarqué deux dames allemandes fort belles, à qui le cœur battait devant cette science comme il bat à d’autres dans l’amour. Je ne blâme pas ces voyageuses que j’ai aperçues plus froides à travers les galeries de Christiansborg et de l’hôtel Moltke ; non, malgré leur indifférence pour l’art, je ne les blâme pas de leur enthousiasme d’érudition. Car l’érudition, à la bibliothèque du roi, possède des monuments énigmatiques et grandioses qui font de la philologie primitive une poésie.

Le musée ethnographique, dont MM. Thomsen et Worsaae sont les directeurs, est universel. Il contient les costumes, les ustensiles, les industries, les inventions de tous les temps, de tous les pays et de tous les degrés de culture intellectuelle parmi les peuples. Il y a là des tentes de peaux de phoque à l’usage des Groënlandais, des traîneaux sur lesquels ils chargent leurs pirogues et les transportent parmi les glaces. Il y a là des idoles de toutes les latitudes et de toutes les superstitions ; des cornemuses faites de dents d’éléphant, des carquois de flèches empoisonnées, des toques ornées de plumes et d’herbes marines, des colliers de pierres précieuses, des boucliers en cuir de bœuf que ni sabre, ni balles ne peuvent pénétrer, des lances dont chaque clou annonce la mort d’un ennemi. Il y a là des coupes de porcelaine emboîtées dans des tissus de bambou, des tasses de la Chine montées sur diamants, des cordes de papier infrangibles et des yatagans à lames d’acier, à fourreaux ciselés. Il y a là des pagodes des dieux de l’Inde et de la Chine, des amulettes innombrables ; mais ce qu’il y a peut-être de plus curieux, ce sont des dentelles à guirlandes de roses entremêlées avec les fibres de l’ananas.

Le même édifice contient le musée des antiquaires du Nord, où les trois âges de pierre, de bronze et de fer étalent leurs massues, leurs haches, leurs scies, leurs couteaux, leurs glaives, leurs statuettes, leurs monnaies, leurs médailles, leurs bracelets ; avec des emblèmes ruhniques. Les colliers d’or battu fouillés et découverts, non loin du château de Broholm, en Fionie, étonnent par leur pesanteur et leur pureté.

Toutes ces collections, confiées à de savants hommes, dont la complaisance égale le mérite, sont destinées à s’accroître et à développer dans des sphères nouvelles la chronologie, la géographie, l’histoire, la philosophie, toutes les facultés de l’esprit humain.


VI

L’île d’Amac. — L’église du Sauveur. — La Tour ronde. — Finn Magnussen. — Résidences royales. — Rosemborg et Frédériksberg.

Nous avons ajourné Charlottenbourg. J’ai préféré l’île d’Amac.

Le ciel est si beau, la mer est si bleue ! Un faible bras de cette mer nous sépare d’Amac ; mais l’île est reliée à Copenhague par deux ponts jetés sur ce détroit. Nous sommes descendus jusqu’à la porte du Sud. Nous avons franchi l’un des ponts et nous nous sommes trouvés au milieu d’une population nouvelle. Ce n’était plus l’île de Séeland, la plus grande île du royaume ; c’en était presque la plus petite ; c’était l’île d’Amac. Nous avons parcouru cette oasis potagère de la Baltique dont la longueur n’a pas deux lieues de France. Amac est peuplée d’une colonie flamande depuis l’année 1515. À cette époque, Christian II régnait. Il avait épousé Élisabeth, sœur de Charles-Quint. La princesse était gourmande comme son frère, et très-délicate sur la table. Elle parla si bien à Christian du beurre, du fromage et des légumes de la Frise, que le roi se décida sans peine à mander de cette contrée une légion agricole. Il installa ces Frisons dans l’île d’Amac et ils tinrent tout ce que la reine avait promis. Ce sont leurs descendants qui possèdent encore Amac et qui passent avec bonhomie sur leurs chars à deux chevaux en allant à Copenhague. Bien qu’ils aient contracté plus d’une alliance danoise, ils sont restés une race distincte, et leur langue est le hollandais, altéré néanmoins de séelandais et d’allemand.

Cette île est un Éden rustique.

Elle est d’une plus grande fertilité que la Séeland et que la Fionie, ce qui est beaucoup dire. Amac peut être regardée comme un jardin ; c’est le jardin de Copenhague. Les légumes et les fruits de l’île champêtre sont magnifiques au marché de la capitale ; mais il faut les voir avant qu’ils aient été coupés et cueillis. L’île est couverte de jolies fermes, de travailleurs et de travailleuses. Les vaches mugissent dans les pacages, et les jeunes filles chantent en fanant les foins que leurs pères et leurs frères fauchent. Tandis que la mer dont elle est entourée est d’azur, l’île est d’émeraude. Elle a plusieurs villages et deux églises, Frédérikskirke et Frelserenskirke. Nous avions examiné Frédérikskirke après être entrés dans l’île par le premier pont ; avant d’en sortir par le second, nous nous sommes arrêtés