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elle est rarement l’objet de l’ambition d’un pacha turc. Aussi n’est-ce point une faveur que d’y être envoyé, et l’effendi qui s’y rend tristement, sur un ordre du Grand Seigneur, se considère-t-il comme exilé. Soit que l’administration ottomane y ait tari les sources de la vie, soit que les fléaux naturels, la peste ou le choléra, qui se sont tant de fois appesantis sur cette ville, en aient décimé la population, on y est attristé par la solitude des rues, par l’abandon des plus belles maisons, par les ruines qui, au dedans comme au dehors, couvrent le sol de la cité ou de ses environs.

Mossoul ne présente donc rien de remarquable ; les mosquées même sont privées de ce luxe d’architecture ou de décorations qui attestent, dans tant d’autres villes turques, la dévotion des mahométans. Aussi mon séjour y fut-il très-court, et je ne pensai bientôt plus qu’à ce qui m’avait, pour la seconde fois, appelé à Mossoul, c’est-à-dire les antiquités assyriennes nouvellement trouvées et dont il s’agissait, pour moi, de continuer les découvertes.


Les ruines. — Khouïounjouk. — Tombeau de Jonas.

En sortant de Mossoul par la porte du Pont, et quand on a traversé le Tigre, on se trouve sur la rive gauche, en face de monticules assez étendus auxquels les gens du pays ont donné le nom vulgaire de Khouïounjouk ou Mont des Moutons, parce que ce sol abandonné n’est plus foulé aujourd’hui que par les troupeaux que l’on y mène pâturer. Cependant à ces éminences, actuellement couvertes d’herbes et de broussailles, se relient les extrémités d’une vaste enceinte, évidemment les restes d’un rempart très-épais et encore très-élevé. L’une de ces éminences est factice, c’est-à-dire qu’elle porte les traces de constructions que prouve d’ailleurs sa forme assez régulière ; l’autre, qui est naturelle et rocailleuse, laisse également apercevoir çà et là des vestiges de maçonneries antiques, au-dessous des maisons d’un village arabe qui porte encore le nom de Neïnivèh ou Nebi-Ounous. Dans le premier de ces noms on retrouve évidemment celui de Ninive ; quant au second, qui signifie tombeau de Jonas, il est dû à une pierre, ornée de caractères, que les musulmans conservent religieusement dans une petite mosquée attenante au village. Le fanatisme des habitants ne permet pas de voir cette relique qu’ils disent être la pierre sépulcrale du prophète. Il est probable qu’elle porte une inscription assyrienne, mais on ne peut le vérifier. Il faut s’en rapporter au dire des gens du pays et croire.

On peut prendre le tombeau de Jonas ou le village de Neïnivèh pour point de départ des investigations qui sont indiquées d’abord à l’intérieur du périmètre décrit par les longues murailles en terre qui se rattachent aux deux monticules. Là, le sol peu accidenté et de même nature n’offre aucun point indicateur qui trahisse quelque place intéressante, et on a beau le parcourir en tous sens, on n’y rencontre rien qui attire l’attention. Mais le grand monticule factice, dont les flancs entr’ouverts et crevassés laissent voir çà et là des rangées de briques larges, épaisses et cimentées avec du bitume, semblait offrir plus de chances de découvertes. Des voyageurs, des antiquaires ont, à différentes époques, fait des recherches dans cette plaine. Moi-même, quelques mois auparavant, je l’avais explorée : tout y atteste le plan d’un grand édifice, d’une citadelle, d’un temple ou d’un palais ; cependant rien d’entier, rien de complet ne permet de déterminer avec assurance ni l’époque, ni l’espèce, ni la construction de ce monument. Personne n’avait encore pu y constater le caractère de l’art assyrien, et tout espoir semblait perdu d’acquérir sur Ninive et son véritable emplacement des données précises.

Ce ne fut que dans le cours de l’année 1842 que le consul de France, s’attaquant, pendant ses loisirs, à ces éminences qui semblaient devoir recéler les secrets de l’antiquité ninivite, parvint à y reconnaître, au milieu d’entassements de briques enduites de bitume, quelques fragments d’une pierre grise, gypseuse et portant les traces de sculptures presque effacées, mais qui trahissaient un ciseau habile et un caractère original. Rien malheureusement n’était complet, et il était impossible de reconnaître un plan ou une construction quelconque dans le chaos résultant du bouleversement des édifices qui jadis avaient couronné cette éminence. Là, comme en beaucoup d’endroits, il paraissait évident qu’on avait enlevé la pierre, arraché la brique, très-probablement pour faire servir les unes et les autres à la construction d’une ville et de maisons modernes. La bourgade arabe de Hellâh a été bâtie aux dépens de Babylone ; de même on remarque à Mossoul que toutes les maisons sont construites en briques revêtues de plaques d’une pierre gypseuse exactement semblable à celle qui se retrouve dans les profondeurs des fouilles faites à Neïnivèh ; on demeure convaincu que les somptueux palais de Sardanapale ou de Sennachérib ont fourni des matériaux aux constructions arabes de Mossoul et des villages environnants. Il était naturel que les populations profitassent de la proximité des grandes carrières factices que leur offraient les monticules de la plaine en face de Mossoul et les énormes murailles qui bordent le Tigre. C’est aujourd’hui, pour les habitants, une mine inépuisable, et l’on y voit journellement des ouvriers occupés à en extraire avec précaution de grandes briques très-bien faites et parfaitement conservées, qui leur évitent la peine d’en fabriquer de nouvelles. Ils pensent d’ailleurs que celles qu’ils trouvent toutes faites, éprouvées par tant de siècles, leur présentent des garanties certaines de solidité. C’est à ces emprunts successifs que les générations ont faits aux ruines antiques qu’il faut, en grande partie, attribuer le nivellement qui s’est opéré d’âge en âge, et qui tend à aplanir tout à fait le sol de Ninive comme celui de Babylone.


Village de Khorsabad. — Origine de la découverte. — Moyen d’en poursuivre les premiers résultats. — Massacres de chrétiens.

Il n’y avait rien à espérer au lieu de Neïnivèh : ni le Khouïounjouk, ni le tombeau de Jonas ne pouvaient