Page:Le Tour du monde - 04.djvu/6

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jetâmes l’ancre ; mais il était impossible de voir la ville, bâtie sur un terrain plat. Une embarcation seule fut détachée et envoyée à terre pour y porter des dépêches. Personne ne se souciait de descendre dans ces charmantes embarcations du pays, surtout en voyant la mer passer par-dessus les brisants.

Une rue à Bahia.

De Fernambouc à Bahia, il ne se passa rien de nouveau : des baleines, des oiseaux, des paille-en-queue des tropiques, et quelques poissons volants. À notre arrivée de nuit à Bahia, il pleuvait à torrents. Un brouillard épais cachait une partie de la ville. Je n’étais guère satisfait. Rien de ce que je voyais ne me donnait une idée de ce que j’espérais voir au Brésil. Nous abordâmes. À terre, pas de pittoresque ; des nègres, toujours des nègres, criant, se remuant, se poussant les uns les autres. Point d’inattendu dans les costumes : des pantalons sales, des chemises sales, des pieds crottés, souvent gros comme ceux des éléphants, pour cause d’éléphantiasis, affreuse maladie ! J’avais toujours entendu dire que pour voir de belles négresses, il fallait aller à Bahia. J’en vis effectivement plusieurs qui n’étaient pas mal, mais tout cela grouillait dans les rues étroites de la ville basse, où les négociants français, anglais, portugais, juifs et catholiques vivaient dans une atmosphère empestée. Je me hâtai de sortir de cette fourmilière, en grimpant avec difficulté, comme à Lisbonne, une grande rue conduisant dans la ville haute. Là, en passant devant un jardin, je vis pour la première fois un oiseau-mouche voltigeant sur un oranger. Je le regardai comme un présage heureux : il me réconciliait avec moi-même et mes espérances ; c’était lui qui le premier m’annonçait vraiment le nouveau monde.


La baie de Rio-Janeiro. — Le paysage. — Les rues. — Les cancrelas. — Lettre d’introduction. — Les habits noirs.

Trois jours après, le 5 mai, nous entrions dans la magnifique baie de Rio-de-Janeiro. Un négociant français, avec lequel je m’étais mis plus en rapport qu’avec les autres, me décrivait avec chaleur le panorama qui se déroulait devant nous. Il admirait tout : j’étais plus lent à m’émouvoir. Nos impressions ne pouvaient pas être les mêmes. Les souvenirs, qui me poursuivaient, faisaient quelquefois paraître à mes yeux en noir ce qui pour lui était rose. Marié à une femme charmante, en possession d’une fortune qu’il devait à son travail, et qui chaque jour s’augmentait, il allait retrouver sa famille ; moi au contraire je quittais la mienne, et je ne pouvais encore me distraire de mes pensées ni par le travail auquel j’étais habitué, ni par la contemplation de ces merveilles, de cet inconnu que j’étais venu chercher. « Voilà Botafogo, me disait-il ; voilà l’hôpital ! Cette petite montagne qui s’avance dans la mer, où vous voyez ces maisonnettes si jolies et toutes cachées par des arbres de toute espèce, c’est la Gloria. Ce groupe de maisons blanches et roses, c’est le faubourg Saint-Germain de Rio ; regardez aussi ce grand aqueduc, et plus loin Sainte-Thérèse, un endroit fort saint ! Allez loger là. On ne craint pas la fièvre jaune sur cette hauteur. De ce côté, sur ce rocher, dans la ville même, c’est le Castel. C’est, comme vous pouvez le voir, le lieu où l’on place les signaux. Chaque