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élève un autre qui, tout en étant moins considérable que celui de la rive gauche, a néanmoins une importance qui peut le faire passer pour une seconde ville, d’autant mieux que sa population ne ressemble guère à celle du bord opposé. Elle se compose presque exclusivement d’Arabes du désert qui y sont logés temporairement, et de Persans qui en préfèrent le séjour à celui de la ville même. La différence de croyances et la haine religieuse qui existent entre eux et les sunnites[1] leur ont fait adopter ce quartier. Ils y sont plus à l’abri des vexations de la population de Bagdad, et plus en liberté d’aller et de venir entre cette ville et Kerbelâh, lieu de pèlerinage fréquenté par les chyas.

Mosquée Imam-Moussa, à Bagdad. — Dessin de M. E. Flandin.

fort long, car le Tigre est très-large. On y voit sans cesse passer des caravanes bédouines, des cavaliers, des chameaux chargés ou des troupeaux de moutons amenés des tribus du voisinage pour l’alimentation de Bagdad. Aux deux extrémités de ce pont sont deux cafés à galerie ouverte où les Bagdadins vont chercher le plaisir du kief en fumant dans d’élégants narghiléhs[2] le meilleur tabac de l’Orient et en dégustant leur fin café de Moka. Du haut de ces galeries la vue s’étend sur la rive opposée où Bagdad se développe dans sa plus grande étendue, étalant, sous son ciel pur et radieux, ses coupoles ovoïdes, ses minarets aux couleurs chatoyantes, entremêlés çà et là d’élégants bouquets de dattiers. Au pied des édifices que baigne le Tigre, se balancent mollement quelques grandes barques ou bagalos, aux vergues immenses, en attendant leur chargement pour redescendre vers Bassorah et le golfe Persique. Quelquefois passe, lentement entraîné par le cours paresseux du fleuve, un large radeau conduit par un seul homme, et sur lequel se dresse une petite cabane formée de branches d’arbres et de cannes. C’est du bois à brûler qui vient des montagnes du Kurdistan, et arrive après avoir parcouru plus de cent cinquante lieues en suivant les sinuosités du Tigre. C’est ainsi que Bagdad est approvisionné de combustible. Les Kurdes qui exercent cette industrie attachent leur bois sur un certain nombre d’outres en peau de chèvre, afin d’en assurer le flottage, après quoi ils l’abandonnent au courant. Arrivés à destination, leurs outres

  1. On appelle ainsi les musulmans qui, comme les Turcs, sont de la secte d’Omar, c’est-à-dire n’admettent pas d’autre héritier de Mahomet que son cousin. Le nom de sunnites ou sunnis leur est donné par opposition à celui de chyas on chiites qui appartient aux mahométans dissidents, à ceux qui, au contraire, repoussent Omar et ne reconnaissent qu’Ali, gendre du prophète, pour son successeur. Ce schisme a engendré entre les Turcs et les Persans une haine implacable et des guerres où le fanatisme religieux a eu plus de part que l’ambition et le désir de conquêtes.
  2. Pipe à réservoir d’eau.