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M. Andersson est un chasseur plus encore qu’un explorateur ; c’est moins par les investigations géographiques que par le tableau de la nature sauvage et l’émotion de poursuites dangereuses, que ses récits attachent le lecteur.

Jusqu’à un certain point on en peut dire autant du livre tout récent de M. Duchaillu[1], qui, dès son apparition, a été en Angleterre l’objet de controverses retentissantes et d’une polémique passionnée. Les chasses d’Andersson nous conduisent principalement à travers les solitudes arides de la contrée des Damaras, au sud du Benguéla ; celles de Duchaillu au fond des sombres forêts du Gabon, au nord du Zaïre. Le lion, la panthère, la gazelle, l’éléphant, sont surtout les animaux que poursuit le Nemrod suédois ; c’est par la poursuite bien autrement périlleuse de la gorille, ce géant de la tribu des singes, que les chasses de notre compatriote éveillent un anxieux intérêt. Mais outre ce côté qui est celui des aventures et de l’histoire naturelle, le livre de Duchaillu contient d’utiles renseignements sur la nature et la configuration générale d’une grande contrée jusqu’alors absolument inexplorée ; il donne surtout d’intéressants et copieux détails sur les tribus qui l’habitent et au milieu desquelles l’auteur a vécu. Quelques déplacements de dates sans importance réelle dans quelques-uns des premiers chapitres de la relation sont devenus l’occasion d’accusations acerbes dont l’avenir, il faut l’espérer, fera justice[2]. Le livre de Duchaillu n’est pas une relation scientifique dans l’acception propre du mot ; mais il n’en restera pas moins parmi ceux qui marqueront dans l’histoire géographique du continent.


X

Le Hongrois Ladislaüs Magyar (Magyar est le nom patronymique du voyageur) y réclame une place bien plus grande encore, quoique nous n’ayons jusqu’à présent que la première partie de sa relation[3]. On lui doit de connaître, au sud et à l’orient des possessions portugaises de l’Angola, une vaste étendue de territoires infiniment mieux qu’on ne les connaissait auparavant ; et la suite de ses récits doit nous conduire bien plus avant encore dans l’intérieur, au milieu de pays et de peuples tout à fait ignorés. Sur plusieurs points, dans cette direction, les courses de Ladislaüs paraissent devoir se rattacher à celles de Livingstone dans le haut bassin du Zambézi, ce qui fournira, chose toujours précieuse, un double élément de contrôle et de vérification.

La carrière de Ladislaüs Magyar, sur laquelle on nous donne peu de détails, parait avoir été passablement aventureuse. Après avoir servi comme officier dans la marine de la république Argentine, il passe au Brésil et y reste un certain temps sans carrière arrêtée ; puis il se tourne vers le commerce, ce qui le conduit aux côtes de Guinée, et plus tard vers l’Afrique portugaise. C’est là qu’il sent s’élever en lui ses véritables instincts d’explorateur. Il réalise ce qu’il possède, dit adieu à la mer et débarque à Benguéla, bien décidé à pénétrer dans l’intérieur plus avant qu’aucun voyageur avant lui. C’était en 1848, au moment où la découverte accidentelle des montagnes neigeuses de la région orientale, et celle du lac Ngami dans la région du sud, en éveillant l’ardeur exploratrice dans ces deux directions, allaient préparer les grandes expéditions qui depuis onze ans ont tant enrichi la carte de l’Afrique australe. Il y a ainsi dans l’histoire de toutes les sciences, et en particulier dans l’histoire des découvertes géographiques, des époques d’impulsion soudaine qui font plus en quelques années pour l’avancement de nos connaissances, que n’avait fait une longue suite de générations.

Le projet qu’il a conçu, Ladislaüs ne tarde pas à l’exécuter. Il se met en route de Benguéla en se dirigeant à l’est, avec une caravane de l’intérieur qui vient à la côte deux fois chaque année. Au bout d’un mois de marche, pendant lequel Ladislaüs prend soigneusement note des distances parcourues, du nom des stations, de la nature du pays, des rivières, des territoires et des tribus, on arrive à un pays nègre appelé Bihé, contrée natale des gens de la caravane. Le voyageur plaît au roi, qui lui fait épouser sa fille Ina-Osoro.

Quoiqu’il se donnât ainsi un beau-père qui avait l’agrément d’être un peu anthropophage, Ladislaüs dut se prêter à l’honneur de cette alliance. D’abord, il ne pouvait guère faire autrement ; puis elle servait ses projets. Établi à demeure dans le Bihé, où il est encore en ce moment, il a pu non-seulement étudier à fond le peuple et sa langue, mais acquérir des informations étendues sur une foule de tribus avec lesquelles les gens du Bihé ont des rapports habituels, et sur les territoires environnants. Il a dû en outre accompagner le roi dans de longues expéditions, qui lui ont fait connaître des pays et des peuples plus éloignés.

C’est le résultat de ces études locales et de ces lointaines excursions que Ladislaüs Magyar a consigné dans sa relation. La première partie, la seule que nous ayons encore, s’arrête au Bihé dont elle donne une description très-circonstanciée, ainsi que du pays intermédiaire jusqu’au port de Benguéla.


XI

Australie.

Ce serait une longue histoire de raconter toutes les tentatives qui ont été faites depuis quarante ans et plus, pour pénétrer dans les parties centrales du vaste continent océanien, que les Néerlandais, qui le découvrirent en 1605, nommèrent la Nouvelle-Hollande, et auquel les Anglais, depuis 1815, ont imposé le nom d’Australie. Chacune de ces tentatives a plus ou moins élargi la zone du pays connu aux abords des côtes, principalement à

  1. Explorations and aventures in equatorial Africa. London, 1861, un volume.
  2. Comme il nous est impossible d’entrer ici dans le fond du débat, qu’il nous soit permis d’indiquer à nos lecteurs un travail étendu que nous y avons consacré. On le trouvera dans le journal le Temps du 23 septembre et du 14 octobre derniers.
  3. Reisen in Süd Africa. Pesth, 1859, tome 1.