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long, je pus apercevoir derrière des troncs leurs yeux effrayés. Mon travail achevé, tout le monde rentra dans la case, et malgré l’assurance que je mis à déclarer que je n’avais pas trouvé de dard à la queue, aucun Indien ne voulut me croire.


Peinture d’après un Indien mort. — Insolence de mon hôte. — Je quitte sa case pour aller vivre seul au fond des bois. — Une case déserte. — Colloque avec des Indiens. — Mon établissement dans la solitude.

J’approchais, sans le savoir, du moment où la case inhospitalière du signor X… allait cesser de m’abriter.

Quelques jours après l’excursion que je viens de raconter, on apporta, étendu dans un hamac, un Indien presque mort : c’était le brave garçon qui avait tué le serpent et m’avait aidé à le traîner. Il mourut le lendemain. J’appris à mon réveil qu’on avait fait prévenir ses parents et que l’on ne tarderait pas à enlever le pauvre corps. L’idée me vint aussitôt que, puisque je n’avais pas pu peindre d’Indiens vivants, il ne fallait pas laisser cette occasion d’en peindre un mort. J’allai immédiatement me placer dans le petit réduit où l’Indien gisait sur une vieille natte, son lit ordinaire, les mains serrées l’une contre l’autre, le tronc enveloppé d’une vieille blouse bleue, les cuisses et les jambes nues. Tout à côté était la cuisine. Ses camarades, que je voyais à travers les interstices de la cloison d’où la terre qui décore les cases était tombée, causaient et riaient devant un grand feu où ils faisaient cuire des poissons. Près du défunt se tenait sa mère, la vieille Rose : elle murmurait à voix basse le chant des morts, chassant les mouches du visage de son fils, lui ouvrant les yeux de temps à autre ou interrompant son chant pour mordre dans un des poissons qu’elle allait chercher à la cuisine. J’avais dit, en me préparant à faire cette étude, que je me retirerais dès que je verrais venir les parents invités : la mère, à ma grande surprise, non-seulement n’avait exprimé aucun mécontentement en voyant que je me mettais au travail, mais encore elle m’avait aidé à arranger divers objets dont j’avais besoin. Je ne perdis pas de temps ; j’avais presque terminé l’ébauche quand j’entendis que l’on disait : « Voilà les Indiens ! » À ce moment même mon hôte, se précipitant dans la cabine, me dit avec un ton plus que grossier : « Allons, il faut en finir ; dépêchez-vous ! » Et, sur ma réponse que dès que la mère trouvait bon ce que je faisais, je ne voyais pas pourquoi des parents éloignés seraient plus difficiles, il sortit, et j’entendis qu’il criait, en se promenant de long en large : — « Qu’il termine son ouvrage ! nous verrons une autre fois. Croit-il que je vais me brouiller pour lui avec les Indiens ? »

Un Indien mort et sa mère.

Je suis féroce quand on me trouble dans mon travail. Il n’en fallait pas tant, d’ailleurs, pour faire déborder mon indignation contenue depuis trop longtemps. Je pris à la hâte tout ce que j’avais apporté près de la couche mortuaire, je passai en silence près de cet homme qui m’avait causé tant d’ennuis, en me jurant de ne plus