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vérification scientifique. L’attention de la Société de géographie de Londres s’arrêta sur ce sujet ; une expédition fut décidée.

Le lieutenant Burton s’offrit pour cette expédition, et son offre fut la bienvenue. Connu déjà depuis plusieurs années par d’importants voyages et de remarquables publications sur l’Inde, l’Arabie et l’Afrique orientale ; esprit à la fois entreprenant et prudent, alliant la bravoure qui affronte le péril à l’adresse qui le détourne, l’entrain qui excite au sang-froid qui impose ; tour à tour investigateur savant, observateur profond, narrateur plein de trait et d’humour ; rompu d’ailleurs au climat des tropiques et parlant l’arabe comme un Bédouin, Burton était l’homme de l’entreprise. Il s’y associa le lieutenant Speke, qui déjà l’avait secondé dans une de ses courses précédentes. Je ne sais quelle question d’amour-propre les a depuis divisés ; mais leur réunion dans ce voyage aux grands lacs a été grandement profitable à la science.

Les deux explorateurs, accompagnés d’une troupe de porteurs qui leur formait une escorte, quittèrent Zanzibar dans les premiers jours de juin 1857 et prirent leur direction droit à l’ouest, à travers un pays richement accidenté. Après avoir surmonté des obstacles de plus d’une sorte, ils atteignirent le grand lac, objet principal de leur recherche, vers la fin de mars 1858. Près de huit mois, dont cinq de marche effective, avaient été employés à cette traversée pleine d’incidents, quoique l’intervalle direct du lac à la côte ne soit que de cinq cent quarante milles géographiques (on sait que le mille géographique est la soixantième partie du degré), et que la route parcourue, avec toutes ses sinuosités, ne représente guère qu’un développement de huit cents milles, c’est-à-dire moins de trois cent cinquante de nos lieues communes, ou environ quinze cents kilomètres. Le nom du lac, parmi les indigènes, est Tanganiyika. Burton, qui l’a exploré en partie, estime que sa longueur est de deux cent cinquante milles (environ cent lieues), et sa largeur de trente à trente-cinq milles. Jusqu’à présent on ne lui connait pas d’écoulement extérieur.

Le retour fut marqué par une autre exploration non moins importante ; celle-ci appartient tout entière au lieutenant Speke. Pendant que Burton, brisé par la fièvre, était retenu dans un village à deux mois du grand lac, Speke résolut d’entreprendre une excursion dans le nord, vers un autre lac dont parlaient les marchands arabes. On y arriva en vingt-cinq jours de marche directement au nord, la moyenne des journées étant de sept à huit milles, ou environ trois lieues. Ce lac, que les indigènes désignent communément sous le nom de Nyanza (qui est une appellation générique), et auquel le voyageur voulut donner le nom de sa souveraine, la reine Victoria, aurait, d’après les rapports des noirs, une extension considérable vers le nord ; mais Speke n’en vit que l’extrémité méridionale, qui est à deux degrés vingt-quatre minutes au sud de l’équateur, d’après ses observations. Pour la hauteur au-dessus de l’océan, le baromètre accusa trois mille sept cent cinquante pieds anglais (onze cent quarante-deux mètres). Le Nyanza n’est pas encaissé comme le Tanganiyika, dans un bassin profondément escarpé ; ses bords sont plats, et il doit être sujet, comme le Tchad, à de grandes variations.


IV

La reconnaissance du Nyanza par le lieutenant Speke est un fait d’une grande importance dans l’histoire des explorations de l’Afrique centrale ; c’est le point de départ de la recherche des sources du Nil par le sud.

Entre la partie reconnue du Nyanza, par deux degrés et demi de latitude australe, et la station du Gondokoro sur le haut du fleuve Blanc, par quatre degrés et demi (un peu plus ou moins) de latitude nord, l’intervalle n’est au plus que de sept degrés ; et c’est nécessairement dans cet intervalle que naissent les rivières, quelles qu’elles soient, dont la réunion forme le Nil. De plus, Speke calculait par estime que le Nyanza devait se trouver à peu près sous le même méridien que Gondokoro, et différents rapports affirmant qu’une grande rivière sort du lac et prend sa direction au nord, le voyageur en concluait que, conformément aux données anciennes recueillies par Ptolémée, la tête principale du Nil est au Nyanza. Toutes ces inductions sont fort incertaines ; ce qui ne l’est pas, c’est l’importance des découvertes auxquelles doit conduire l’exploration de cette zone inconnue de sept degrés de largeur que partage la ligne équinoxiale. Là est la solution finale de tous les problèmes qui restent encore inéclaircis. Au point où en sont arrivées les explorations accomplies, celle-ci ne saurait présenter de difficultés sérieuses ; ce n’est plus qu’une affaire de persévérance et de temps.

Telles étaient les réflexions du lieutenant Speke en laissant errer sa pensée sur l’horizon inconnu où allait devant lui se perdre le Nyanza. Il ne pouvait pousser plus loin sa reconnaissance ; il lui fallait rejoindre Burton et le reste de l’expédition. Mais dès lors il avait résolu de reprendre plus tard et d’achever cette exploration décisive.

C’est ce projet qu’il réalise aujourd’hui. La Société de géographie de Londres et le gouvernement anglais y ont pourvu de concert par un subside très-considérable, — au delà de cent mille francs. C’est une justice qu’il faut rendre à nos voisins, que lorsqu’une entreprise comme celle-ci se présente, qui promet à la fois de servir la science, d’ouvrir de nouvelles perspectives commerciales, ou même seulement de jeter un nouvel éclat sur le nom anglais, ils ne se bornent pas, comme on le fait trop souvent ailleurs, à des vœux platoniques ou à d’insuffisants secours : ils assurent largement et promptement les moyens d’exécution.

Le capitaine Speke a quitté Londres vers le milieu de l’année dernière, ayant cette fois pour second un autre officier de l’armée des Indes, le capitaine Grant. Burton avait voulu goûter le repos de la vie privée, et, en guise de délassement, il faisait pendant ce temps une excursion au Far-West américain, jusque chez les Mormons. MM. Speke et Grant ont gagné Zanzibar par la voie du Cap. Une expédition très-nombreuse, une