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et les mers, l’Afrique a eu, depuis vingt ans, la plus large part. C’est là qu’étaient naguère encore les plus grandes lacunes de la carte du monde ; c’est là aussi qu’ont eu lieu les plus grandes découvertes. Au nord de l’équateur, le bassin du haut Nil a été reconnu, pour la première fois, sur une étendue de deux mois de marche au-dessus de Khartoum, en même temps que la mémorable expédition de Barth et de ses compagnons ajoutait prodigieusement à nos connaissances sur la vaste région du Soudan ; dans la partie australe du continent, les reconnaissances et les explorations du docteur Krapf, de David Livingstone, de Ladislaüs Magyar, du capitaine Burton, du lieutenant Speke et de leurs nombreux émules, ont apporté à l’Europe des notions certaines sur une immense étendue de pays inconnus. Ces grandes découvertes, accomplies coup sur coup dans l’espace de quelques années, continuent en quelque sorte et complètent l’œuvre du seizième siècle ; elles ont de plus ce que n’avaient pas les anciennes explorations, la précision scientifique. Au seizième siècle, à cette époque de croyance et d’enthousiasme, de tels voyages au cœur des pays éthiopiens auraient excité une curiosité universelle, et le nom des voyageurs aurait été dans toutes les bouches. Aujourd’hui, chez nous du moins, la gloire populaire s’attache plus difficilement à de telles entreprises ; mais elles n’en resteront pas moins pour la postérité une des grandeurs du dix-neuvième siècle, et un de nos impérissables titres dans l’histoire de l’esprit humain.


II

La recherche des sources du Nil.

Il y a bien des siècles que le problème des sources du Nil est soulevé. Ce grand fleuve sortant des profondeurs d’une région inconnue, et, dans son cours d’une longueur infinie, traversant les arides solitudes de l’Éthiopie avant de venir fertiliser l’Égypte, a dans tous les temps frappé l’imagination des hommes. Chercher les sources du Nil était devenu, pour les anciens, une expression proverbiale désignant une chose à peu près impossible. Plusieurs princes la tentèrent ; aucun n’y atteignit. Les explorateurs anciens qui pénétrèrent le plus avant dans la haute région du fleuve sont les envoyés de l’empereur Néron, environ soixante ans après la naissance de Jésus-Christ. Ils remontèrent, à partir de Méroé, jusqu’à d’immenses marais du milieu desquels le fleuve semblait sortir. Ce trait caractéristique, qui a été retrouvé de nos jours, atteste la véracité des envoyés de l’empereur romain, en même temps qu’il nous fait connaître le point précis où ils s’arrêtèrent.

Ces marais, qui ont plus de quatre-vingts lieues d’étendue en remontant le fleuve, commencent vers le neuvième degré de latitude nord, à huit cents milles romains environ, ou douze cents kilomètres au-dessus de la ville royale de Méroé. Cette distance seule indique une tentative sérieuse. Nul depuis ne la renouvela. Les notions que le géographe Ptolémée consigna dans ses Tables, au commencement du deuxième siècle, et que répétèrent plus tard les auteurs arabes, avaient été recueillies par des marchands égyptiens sur la côte orientale d’Afrique, de la bouche des gens de l’intérieur. On parlait de grands lacs d’où sortaient plusieurs rivières qui allaient former la tête du fleuve. Ces notions, quoique vagues, paraissent exactes au fond ; en ce moment encore les nôtres ne sont guère plus précises.

Mais nous touchons, tout permet de l’espérer, à l’heure où l’Europe va connaître le dernier mot de cette vieille énigme. Les entreprises sérieuses qui en poursuivent la solution datent de 1840. L’honneur en revient à Méhémet-Ali, le grand réformateur de l’Égypte. Accessible aux bonnes directions des conseillers français, qu’il aimait à consulter, et prompt à entreprendre tout ce qui pouvait grandir son nom en Europe, il aspira à la gloire d’une découverte que des princes puissants avaient inutilement tentée. Une expédition s’organisa pour remonter le fleuve jusqu’à ses sources. C’était, je l’ai dit, en 1840. Le Nil se forme à Khartoum (la capitale actuelle de la haute Nubie, ou, selon la dénomination officielle, du Soudan égyptien), de la réunion de deux grandes rivières. L’une, le Bahr-el-Azrek ou fleuve Bleu, vient de l’Abyssinie : c’est un affluent ; l’autre, le Bahr-el-Abyad ou fleuve Blanc, a de tout temps été regardée par les indigènes comme la branche principale, comme le corps même du fleuve.

C’était celle-là qu’on avait à remonter en se portant au sud. Khartoum est située par quinze degrés et demi de latitude nord ; vers le neuvième degré on rencontra les marais qu’avaient signalés les explorateurs de Néron, et que nul voyageur n’avait revus depuis. On franchit à grand-peine cette triste région, à travers laquelle les eaux embarrassées du fleuve s’avancent lourdement et comme à regret, et l’on parvint ainsi jusqu’à un lieu appelé Gondokoro, dans le pays des Baris, entre le cinquième et le quatrième degré. On ne put aller au delà. On se trouvait à l’époque des basses eaux, et des barrières de rochers qui coupent ici le lit de la rivière rendaient impossible toute navigation ultérieure.

Quoiqu’elle n’eût pas atteint le but, cette exploration était un grand pas. La seule relation circonstanciée que l’on en ait a été publiée par un médecin allemand, le docteur Ferdinand Werne, que le hasard y avait associé. On avait, pour la première fois, reconnu le cours du fleuve Blanc sur une très-grande étendue, et l’on rendait ainsi comparativement faciles les expéditions à venir. Plusieurs eurent lieu dans le cours des années suivantes ; mais, par une raison ou par une autre, aucune n’a pu dépasser de beaucoup Gondokoro, où fut fondée une mission catholique, qui a été depuis abandonnée. Des voyages fréquents ont été faits entre Khartoum et ce point extrême, et ces voyages ont été l’occasion de quelques publications plus ou moins étendues, parmi lesquelles il faut distinguer une notice du révérend père Knoblecher, supérieur de la mission de Gondokoro (1851), et un volume de M. Brun-Rollet (1855). Bien que ce dernier ne fût pas à vrai dire un voyageur, mais seulement un trafiquant en gomme et en ivoire, son livre n’en renferme pas moins des observations instructives, surtout pour la