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d’un long sabre, nommé machéta, coupait et taillait à droite et à gauche. Les araignées, en très-grand nombre, qu’on dérangeait s’accrochaient partout à nos personnes. J’en avais des douzaines quelquefois sur le corps et sur le visage.

Plus nous marchions, plus il nous devenait difficile d’avancer. Les bras se fatiguaient à force de couper. Nous étions au milieu d’une forêt de bambous tellement serrés que nos habits étaient partout déchirés. Nous marchions sur des tiges innombrables dont le sol était jonché à une très-grande hauteur ; le tout entremêlé de grandes feuilles armées de pointes aiguës.

Nous arrivâmes ainsi au bord d’une rivière sans nom ; elle coulait fort bas au-dessous de nous ; pour arriver jusqu’à elle, il fallait s’aider des arbres qui la cachaient, souvent au risque de se briser la tête ou de s’estropier, si le point d’appui venait à manquer. J’avais déjà pris mon parti sur les contusions. Tout le monde était harassé : nous allâmes nous asseoir en plein soleil sur une petit butte de sable pour nous reposer et déjeuner. Comme mon hôte avait intérêt à ménager l’ingénieur, il avait su trouver dans quelque coin retiré de sa case, quelques bonnes provisions qui m’étaient tout à fait inconnues.

Il fut décidé dans cette halte qu’on ne pouvait retourner dans les bois et qu’on essayerait de remonter la rivière. Je n’eus d’abord de l’eau que jusqu’aux hanches, mais au bout de quelque temps je fus forcé de quitter jusqu’à mon dernier vêtement, d’en faire un paquet et ensuite de le placer sur mon fusil attaché en travers sur mes épaules. Ce n’était guère commode pour voyager, d’autant plus qu’il fallut en faire autant de mes autres instruments de chasse que j’aurais bien voulu n’avoir pas apportés. Je laissais loin devant moi mes compagnons, et quelquefois, quand je n’avais de l’eau que jusqu’au cou, j’élevais les bras et je faisais lestement un croquis, regrettant de n’avoir pas derrière moi un collègue qui pût prendre une autre esquisse d’après moi : ma pose avec mes bras en l’air, mes habits et mon fusil sur le cou, et bien peu de chose hors de l’eau, devait être d’un aspect assez pittoresque.

Le croquis incommode.

Après avoir marché ainsi quelques heures dans l’eau, nous rencontrâmes des troncs d’arbres brisés, et d’immenses pierres provenant de la montagne. Il fallut rentrer dans le bois, et comme les eaux à l’époque où elles sont grosses détrempent la terre pour longtemps, en mettant les pieds sur un terrain qui nous paraissait solide, nous étions exposés à nous y enfoncer jusqu’à la hauteur de la cuisse ; heureux quand nous rencontrions quelques-uns de ces petits sentiers que font les tapirs pour aller boire à la rivière. Dans ces bois impraticables, nous ne pouvions plus guère faire usage de nos sabres, et, comme j’avais bien simplifié mon costume, j’étais déchiré de tous les côtés. Aussi, dès que les obstacles qui nous retenaient hors de la rivière étaient franchis, pareils à une compagnie de canards, nous nous précipitions dans l’eau où du moins nous pouvions marcher plus commodément tant qu’elle ne nous montait que jusqu’à la lèvre inférieure.

Une fois, dans la forêt, l’Indien qui me précédait m’arrêta en étendant la main, ce que j’allais faire de moi-même, car un immense tronc d’arbre barrait le passage.