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savais que les Mondurucus se peignaient la figure d’un bleu verdâtre ; qu’ils se traçaient une ligne partant de l’oreille et passant sous le nez, pour aller rejoindre l’autre oreille. Ce n’était pas du tatouage, mais une entaille très-profonde, puis il y avait des dessins sur le cou, la poitrine et les bras. Le bon vieux chef était ainsi. Je savais également que les Araras se contentaient de se peindre un croissant, passant du menton aux deux joues et allant se perdre près des yeux.

Je reconnus de suite que nous étions chez les Araras, d’autant plus facilement que celui qui me parut le chef avait des plumes dans le nez, d’autres plantées dans des trous au-dessus de la lèvre supérieure, et une au dessus du menton.

Là, comme chez les Mondurucus, je n’eus pas de peine à faire, à l’aide du tabac et des perles, quelques portraits, entre autres celui du chef.

Cependant j’avais déjà fait une remarque, et, malgré moi, je me vis forcé d’y revenir. Un jeune Arara, tout disposé à me servir de modèle, ne se retrouva plus quand j’eus préparé ma palette ; on le chercha partout, il avait disparu. Ce fait se renouvela le lendemain. J’avais fait de grands projets, entre autres celui de peindre sur place un tableau que je terminerais plus tard. Ce tableau devait représenter une prière au soleil(voy. p. 384)  ; mais à la façon dont les Indiens me regardaient, je pris le parti de fuir au plus vite : je fis rentrer tout le monde à bord sous un prétexte quelconque, et quand la nuit fut venue, je fis pousser au large.

Je m’étais tenu debout pendant tout le temps qu’il avait fallu pour se préparer ; je tenais mon fusil d’une main, j’avais l’autre dans la poche de mon pantalon ; on savait ce que cela voulait dire.

Quand je me laissais aller au courant, tout allait bien. Or, dans cette circonstance où nous allions rentrer dans le Madeïra, mes Indiens ignoraient si nous continuerions ou non le voyage, ce qui faisait une grande différence.

Une Indien Mondurucu.

Mais lorsque nous débouchâmes de la rivière et que je fis mettre le cap à l’ouest et orienter la voile — car le vent nous favorisait pour remonter le courant — le sourire avait disparu. J’avais le cœur serré en me voyant obligé de recourir presque à la force toutes les fois que je demandais une chose qui ne convenait pas à tout le monde. Alors je me levais, je me donnais l’air le plus féroce possible, tenant à justifier l’honneur qu’ils me faisaient de me craindre, subjugués soit par ce respect naturel que les gens de couleur ont pour les blancs, soit par la nature même de mon travail, auquel ils attachaient sans doute une influence magique.

Un jour, près d’une plage ou nous nous arrêtâmes, je vis un canot, mais personne dedans. D’où pouvait-il venir ; on ne voyait nulle part trace d’habitation. Bientôt sortit d’un sentier un vieil Indien armé d’un fusil. Il avait attaché autour de son corps, en forme de baudrier, une liane à laquelle pendait une douzaine d’oiseaux et un très-petit singe. Cet homme parut fort surpris de nous voir.

Depuis quelque temps je ne savais pas où nous étions, et comme mes Indiens n’en savaient pas davantage, j’avais pris mon parti là-dessus. Je fus bien content, je l’avoue, quand cet homme nous demanda en portugais qui nous étions et ce que nous allions chercher. Les Indiens chez lesquels nous descendions ne comprenaient pas cette langue ; ils s’entendaient dans un idiome nommé la lingoa geral, ou générale, dont je ne savais pas un mot. Mon vieil Indien avait, me dit-il, autrefois habité un lieu nommé Abacaxi, près de Marvis[1], dans le Paraná-Mirim de Madeïra ; il était le chef d’une petite peuplade à quelques lieues de l’endroit ou nous nous trouvions : on le surnommait le capitaine João.

Je le fis entrer dans mon canot, et je commençai mes bons rapports avec lui par le moyen infaillible de la cachassa, dont il m’avoua n’avoir pas bu depuis longtemps.

Je lui montrai toutes mes études et je le priai de dire d’avance aux hommes et aux femmes de sa tribu de ne pas voir dans ce que je faisais autre chose que le plaisir d’emporter dans mon pays la figure des gens que j’aimais. Je lui expliquai autant que possible ce que voulait dire ma boite de photographie. Il voulut toucher à tout, et je ne pus l’empêcher de mettre ses doigts sur un cliché, qu’il détruisit en partie. Je fis devant lui, tout en remontant le fleuve, le dessin d’un palmier qui penchait sur l’eau. Enfin quand nous arrivâmes, nous étions tout à fait amis.

Mon introducteur descendit le premier de mon canot,

  1. Maravia ?