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fois mon page s’arrêta sous divers prétextes et me laissa passer devant. Je ne fus pas longtemps a comprendre qu’il avait peur.

J’allais à l’aventure, m’étonnant toujours de n’entendre aucun autre cri que celui du crapaud ; pas plus d’oiseaux que dans le voisinage de ma case. Mais comme, après tout, mon but en venant était de peindre, je marchais toujours, en notant les points qui m’intéressaient le plus.

M. Biard dans les forêts du rio Negro.

J’entendais depuis fort longtemps le bruit d’une autre cascade : sans doute c’était la continuation de la première. Effectivement en approchant je retrouvai la rivière avec ses eaux noires ; l’eau tombait sur une pierre ayant la forme d’un tombeau ; la cascade était interrompue, elle se retrouvait plus loin, sur la même masse de rochers, qui dans cette partie me parut un peu moins élevée que dans l’autre, et de là se précipitait avec un grand bruit.

Ce lieu me parut être le point ou je devais marquer ma limite. J’appelai Polycarpe ; je plantai non ma tente, mais mon parasol, et fidèle à ma vocation, je commençai mon quatrième panorama, à l’abri des moustiques, au bruit des cascades et sous un toit de verdure impénétrable aux rayons du soleil.

J’étais parfaitement heureux dans ce moment ; j’avais tous les avantages sans les inconvénients : mes belles forêts que j’avais tant regrettées, tant désirées, je les avais retrouvées. L’affreux Polycarpe s’était fait un lit avec des branches de palmier ; il ne dormait pas, il écoutait, ayant placé près de lui mon fusil, sous le prétexte de l’empêcher de tomber dans l’eau. Je lui sus gré intérieurement de cette attention.

Nous nous en retournâmes par le même sentier ; j’avais passé une délicieuse après-midi.


Achat d’un canot. — Les vautours. — Tuerie de tortues. — La grosse Philis. — Provisions de voyage.

Plusieurs journées s’écoulèrent ainsi. Quand j’eus fait de plus un grand nombre de croquis au crayon, je songeai à revenir sur mes pas. Le commandant vint lui-même, pour m’emmener dans son canot. De retour à la ville, mon premier soin fut de chercher et me procurer un canot pour continuer mon voyage. Mais les eaux avaient baissé ; tous les habitants, c’est-à-dire les gens du peuple, les Indiens, etc., se préparaient à la pêche de la tortue et ne voulaient rien vendre.

M. Costa voulut bien me céder sa pirogue au prix de soixante mille reis (160 francs), j’achetai une voile dix mille reis ; il ne me restait qu’à m’occuper de l’aménagement intérieur. Ces soins me prirent plusieurs jours. Tous les soirs on me donnait, pour me reconduire à mon galetas, un caporal armé de sa baïonnette. Nous montions et descendions dans des rues formées d’ornières et de grosses pierres, où j’ai bien souvent trébuché. Presque toujours la porte de mon galetas était fermée : le maître du logis avait des esclaves ; il les faisait coucher de bonne heure et emportait la clef de la rue ; le caporal allait la chercher et je me dirigeais à tâtons vers mon hamac. Quant à Po-