Page:Le Tour du monde - 04.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

provisations, dont le refrain était : « Sô Bia au sertou, vai a matar passarinhos, vai a matar souroucoucou. — M. Biard, dans la forêt déserte, va tuer petits oiseaux, M. Biard, dans la forêt déserte, va tuer serpent dangereux. » Il fallait voir tous les auditeurs enchantés de me voir rire aux éclats de cette légende en mon honneur.

Bientôt après arriva le moment attendu avec impatience par tout le monde : deux personnages importants, les plus hauts dignitaires, parurent sur la place. Le premier, un grand Indien revêtu d’une souquenille blanche, imitant de fort loin le surplis d’un enfant de chœur, tenait d’une main un parapluie rouge, orné de fleurs jaunes ; son autre main portait une boîte, soutenue déjà par les plis d’un vieux châle à franges, disposé en façon de baudrier. Dans la boîte on voyait la figure de saint Benoît qui je ne sais pourquoi est nègre. Cette boîte renferme aussi des fleurs ; de plus elle est destinée à recevoir les offrandes. Le second personnage, digne de faire partie de l’ancienne armée de Soulouque, était vêtu d’un habit militaire en indienne bleu de ciel, avec collet et parements également en indienne imitant le damas rouge ; au-dessous du collet étaient attachées de petites épaulettes qui retombaient par derrière, comme celles du général la Fayette. De plus notre homme était orné d’un chapeau à cornes phénoménal de longueur et de hauteur, et surmonté d’un plumet jadis vert ; pour cocarde il avait une étiquette dont le centre offrait à l’admiration trois cerises du plus beau vermillon. Ce second personnage a le titre de capitaine. Pour être digne de jouer ce rôle, il faut avoir un jarret d’une force supérieure à ceux de toute la bourgade, car le capitaine ne doit pas cesser de danser pendant toute la cérémonie. Il ouvrit donc la marche en dansant, et en agitant devant lui une petite canne de tambour-major qu’il tenait avec délicatesse, perpendiculairement, comme un cierge. Le bedeau portant le saint, suivait, parasol au vent, en guise de dais. Les musiciens, sur deux rangs, venaient immédiatement après. Les instruments de musique, les tambours, et les vieilles dévotes dansant le cancan, complétaient le groupe. De loin en loin, on voyait de jeunes et jolies têtes, cachées derrière les fenêtres et les portes, jeter des regards furtifs. On s’arrêtait devant la case de chaque invité au banquet. Le capitaine toujours dansant, entrait et faisait le tour intérieur de la maison. La musique allait son train, on hurlait, puis on repartait pour répéter la même cérémonie d’invitation en invitation jusqu’à la dernière, soit sur terre, soit au moyen d’un bateau ou le capitaine sautait avec la même ardeur. Enfin on entra dans l’église où des palmiers avaient été disposés par les décorateurs du lieu ; des calebasses contenant de l’huile tenaient lieu de lampions. Par crainte des araignées et de toute autre espèce malséante, on avait prudemment recouvert la table dressée devant l’autel avec des draps cousus ensemble. Le soir, on enferma saint Benoît dans sa boîte, après avoir enlevé les offrandes. Ce fut seulement alors que nous partîmes.

Incendie dans la forêt vierge.

Cette fête m’avait surtout intéressé comme sujet de tableau ; bientôt j’eus à me réjouir d’une bien autre bonne fortune. On avait abattu une grande partie de bois : le