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soit françaises, soit portugaises, il me fallut le rattraper à la course.

Je restai quelque temps à dessiner à l’ombre. Ensuite, je me mis à chasser, pour faire l’essai d’un magnifique fusil anglais que j’avais acheté à Rio.

Pour revenir à Nazareth, ou demeure M. G…, j’avais marché plus d’une demi-d’heure au soleil : or le soleil du Pará était bien brûlant. J’ôtai donc peu à peu de mes vêtements tout ce que la décence permettait, et comme personne ne se hasarde à courir les routes à cette heure de midi, je pouvais en prendre à mon aise ; j’étais ainsi occupé à simplifier ma toilette, quand de l’autre côté de la route, je vis passer lentement un boa rouge, et sans trop me hâter aussi, je lui cassai les reins d’un coup de fusil. J’ai appris plus tard que cette espèce était assez rare.

Je passai fort peu vêtu, en revenant à Nazareth, devant plusieurs maisons de campagne ; deux messieurs causaient sous une porte. Mon humiliation fut grande en reconnaissant le président de la province, que j’avais déjà visité à la ville. J’aurais bien voulu l’éviter, mais il était trop tard : j’avais été éventé, moi et mon serpent.

M. le président parut prendre un vif intérêt à ma chasse ; il profita de l’occasion pour me parler assez longuement de Rio de Janeiro et des personnes qui m’avaient donné des lettres pour lui. J’aurais préféré m’en aller.

Enfin, arrivé à Nazareth, je dépouillai mon boa sous les yeux de M. Benoît. Cela lui donna l’idée de me faire une surprise. Deux jours après il attendait mon réveil, tenant enroulé autour de lui un boa vivant, avec la précaution pourtant exigée en pareil cas, d’avoir une main sur le cou du reptile, très-près de la tête. Tout habitué que j’étais aux serpents, ce ne fut pas avec une bien grande satisfaction que je vis à quelques pouces de ma figure cette grande gueule très-ouverte.

M. Benoît avait rencontré un nègre qui faisait jouer ce boa avec un rat attaché à une ficelle, au grand plaisir des enfants nègres et indiens. Comme le serpent ne mangeait pas son rat, le nègre le lui reprenait très-adroitement ; il lui passait sur le cou une petite palette en bois de la forme d’une bêche, et, derrière cette palette, il l’empoignait sans crainte d’être mordu.

Au Pará tout le monde connaît les boas et on sait qu’ils ne font pas de morsures dangereuses ; aussi l’on ne s’en inquiète guère ; on en trouve dans beaucoup de maisons faisant office de chats ; ils sont inoffensifs, à moins qu’on ne les frappe ou qu’on ne les dérange.

J’allais à la ville flâner et faire mes observations. Je n’ai vu nulle autre part les négresses et en général les personnes de couleur se vêtir d’une façon si coquette qu’au Pará. Les négresses et les mulâtresses surtout, grâce à leur laine frisée, se font des échafaudages d’une grande dimension, qui pourraient se passer du secours du peigne : cependant toutes en ont, et d’immenses. Les fleurs jouent là dedans un grand rôle aussi, et quelquefois ces femmes sont assez agréables à voir, avec leurs robes décolletées et toujours de couleur brillante.

Quand je n’allais point dans les bois, je partais de bonne heure de Nazareth, et, ainsi qu’à Rio, j’allais me promener sur le marché, qui se tient tout à fait sur le bord de la rivière. De grandes et de petites embarcations viennent s’amarrer contre le quai ; les acheteurs, sur le bord, plongent dans ces embarcations, car le quai est élevé, et ils peuvent voir d’un seul coup d’œil, à vol d’oiseau, ce qui est à leur convenance. Il ne faut pas oublier de faire ses provisions d’assez bonne heure, car dans la journée on ne trouverait presque rien, surtout en fait de viande.

Un autre marché intérieur me convenait moins à parcourir. La terre rouge dont j’ai parlé, quand il n’a pas plu de quelques jours, s’élève de tous côtés par le piétinement de la foule ; malheur aux vêtements. Ce marché, d’ailleurs, a moins d’étendue que l’autre, et, sans en être bien sûr, je crois qu’il est composé d’objets ayant déjà passé entre les mains des revendeurs et des revendeuses.

Là on voit tous les croisements de race, depuis le blanc jusqu’au noir, en passant par les diverses nuances : le Mamaluco d’abord, le Cafusa, le mulâtre, le métis, le Tapuyo, l’Indien pur et le nègre.

M. G… me fit faire la connaissance d’un Français, M. L…, représentant d’une maison de Paris, et par ce dernier, je me vis de suite en rapport avec d’autres Français, MM. G…, de Nantes, et H…, du Havre.


Ara-Piranga. — Fabrique de vases. — Serpents. — Un repas brésilien.

Nous fîmes un jour la partie d’aller dans l’île d’Ara-Piranga, tout près de l’île des Ouces et de la grande île de Marajo, la patrie des crotales et des tigres. C’est de l’ile de Marajo qu’on tire les bœufs pour l’alimentation de Pará. L’année 1859 avait été fatale : les inondations de l’Amazone avaient presque tout détruit ; j’ai oublié le chiffre, il était considérable, et comme il n’y a pas beaucoup de carne secca et de feigoens, les Français habitués à un régime différent de celui du Brésil, mangent beaucoup de conserves d’un prix très-élevé, comme tout ce qui vient d’Europe et des États-Unis.

Nous partîmes un dimanche sur une assez grande barque, et au bout de quelques heures nous arrivâmes devant une belle fazenda. Le maître de la maison, un Portugais, vint nous recevoir et nous conduisit immédiatement dans la salle à manger, lieu de passage pour aller visiter le reste des appartements. La table était parfaitement desservie ; je l’aurais préférée autrement, mais l’heure ordinaire du déjeuner n’avait pas sonné, et j’appris avec terreur qu’il fallait attendre encore longtemps.

Dans cette fazenda étaient une cinquantaine d’esclaves ; on y fabriquait des vases de toute sorte ; on nous en montra de magnifiques ; puis on nous conduisit au jardin. Il y avait du raisin verjus qui faisait le désespoir du propriétaire. Ce jardin, comme la plupart de ceux du Brésil, était composé de petites allées ; des plates-bandes,