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dans ce lieu que les gens riches vont habiter généralement ; c’est encore, comme le Catete, à Rio, le faubourg Saint-Germain de l’endroit.

Je trouvai le consul étendu dans un hamac ; il était fort pâle et fort maigre. Il me présenta à sa femme, une fille de Mme la duchesse de Rovigo. J’avais eu l’honneur de la connaître, et c’était avoir bien du bonheur dans ce pays lointain, de pouvoir presque en arrivant parler ensemble de personnes qui m’avaient honoré de leur bienveillance.

Quand j’exprimai le désir d’avoir un domestique sachant le français, M. le consul me répondit que le peu de Français résidant au Pará étaient des négociants représentants des maisons de commerce, soit de Nantes, soit du Havre. Mon guide alors parla du vieux Français qu’on n’avait pas pu trouver.

« Mais, me dit M. de Froidefond, cet homme est un misérable, un ivrogne. Gardez-vous de le prendre à votre service ; il s’est fait chasser de partout. »

Je témoignai aussi mon désir d’aller dans les bois vierges pour y faire de la photographie. M. de Froidefond s’écria : « Des bois vierges ! mais il n’y en a pas, ou du moins il faudrait aller bien loin. »

Pas de forêts vierges ! mais il m’en fallait, et je me dis tout bas : « J’en aurai, dussé-je aller jusqu’au Pérou ! »

Une boutique au Pará.

J’avais rencontré le matin un individu dont la mine m’avait déplu ; je le revis en rentrant : il était très-sale, très-vieux, très-laid ; des sourcils descendant au-dessous des yeux les lui cachaient complétement ; il était en outre un peu boiteux : j’ai su depuis que c’était par suite d’une blessure reçue à la jambe à l’époque des révoltes de Pará : or c’était précisément le Français, mon futur domestique, Monsieur Benoît.

Au Brésil, à tous les garçons d’hôtel, on dit : — « Monsieur, faites-moi le plaisir de me faire servir un potage. » Si par malheur vous conservez la mauvaise habitude que vous avez prise en Europe, de dire simplement : — « Garçon, mon potage, » vous êtes jugé, vous attendrez toujours.

Je questionnai M. Benoît, et je crus avoir affaire à un polyglotte, car il me répondit dans une langue inconnue. N’ayant besoin que d’un homme sachant le français et le portugais, je répétai ma question ; il me répondit quelque chose que je ne compris pas davantage. L’horloger m’expliqua que, depuis son séjour prolongé au Pará, M. Benoît avait un peu oublié le français, et pas beaucoup appris le portugais, mais qu’il avait bonne volonté ; et c’était vrai, car à peine lui eus-je dit d’aller me chercher une chaise à droite de la chambre, qu’il se précipita à gauche et m’apporta mon chapeau.

Ce trait seul m’eût décidé. J’engageai M. Benoît au prix de mille reis par jour (un peu moins de trois francs) et la nourriture ; il avait son hamac et un petit coffre dans lequel étaient un pantalon et une chemise de rechange. M. Benoît n’a jamais changé de linge pendant tout le temps qu’il a passé avec moi.

Il s’agissait maintenant, avant de me composer un