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naturel. On ne savait réellement pas de quel côté tourner ses regards, et mes compagnons d’infortune me félicitaient de ne pas savoir la langue du pays.

Le 13 septembre, enfin, nous arrivâmes à Tamatave. Malgré la fièvre, nous n’avions ainsi, ni M. Lambert ni moi, donné à la reine Ranavalo le plaisir de nous voir mourir. Mais c’est vraiment un miracle si nous en sommes revenus la vie sauve ; pour ma part, je ne me serais jamais figuré que mon corps affaibli, épuisé, eût pu résister à ce long séjour forcé, dans les pays les plus insalubres, aux durs traitements et aux privations sans nombre et sans fin.

Nous n’eûmes cette fois, ni M. Lambert ni moi, la permission de descendre chez Mlle Julie. On nous mena dans une petite chaumière et on nous garda à vue avec la même sévérité et la même rigueur qu’on avait déployées envers nous pendant tout le voyage. Le commandant de l’escorte nous apprit que nous aurions à nous embarquer sur le premier vaisseau partant pour Maurice, qu’il avait l’ordre de ne nous laisser communiquer avec personne à Tamatave, et de nous escorter avec ses soldats jusqu’au vaisseau.

Je dois dire, à l’honneur du commandant et des officiers, qu’ils ont rempli jusqu’au bout leur consigne à la lettre, et s’il vient jamais à l’idée de Sa Majesté de Madagascar d’instituer un ordre de décoration (ce qui arrivera sans doute avec le temps), ils méritent tous d’être nommés grand-croix. Sans doute cette opinion ne sera pas celle de la reine Ranavalo, et, au lieu d’éloges et de récompenses, les pauvres gens pourront bien recevoir un accueil peu favorable, quand ils apporteront la nouvelle que M. Lambert et moi nous avons quitté vivants Madagascar.

Nous fûmes assez heureux pour ne rester que trois jours à Tamatave. Le 16 septembre, un vaisseau partait par hasard pour Maurice, et il fallut nous séparer de cette aimable société et de ce charmant pays. Il est vrai qu’au moment de la séparation je n’ai point versé de larmes, au contraire, je me sentis le cœur plus léger en mettant le pied à bord du vaisseau, et c’est avec un plaisir indicible que je vis le canot ramener le commandant avec ses soldats vers la côte ; mais je ne me repens cependant pas d’avoir entrepris ce voyage, surtout si je dois avoir le bonheur de recouvrer la santé.

J’ai vu et appris à Madagascar plus de choses curieuses et extraordinaires qu’en aucun pays, et quoiqu’il y ait certainement peu de bien à dire du peuple de cette île, il faut songer qu’avec un gouvernement aussi déraisonnable et aussi barbare que l’est celui de la reine Ranavalo, avec l’absence complète de moralité et de religion, il ne saurait en être autrement.

Si Madagascar obtient un jour un gouvernement régulier et moral, si elle est visitée par des missionnaires qui, au lieu de se mêler d’intrigues, appliquent toutes leurs facultés et tous leurs efforts à inculquer au peuple le véritable esprit du christianisme, il pourra, j’espère, s’y élever tôt ou tard un royaume heureux et florissant.


Ici s’arrête le journal de Mme Ida Pfeiffer. Malheureusement elle se faisait illusion sur son état. Les accès de la fièvre ataxique des tropiques peuvent être plus ou moins longtemps sans revenir, mais leur germe morbide n’en subsiste pas moins dans l’organisme, et Ida Pfeiffer ne devait jamais recouvrer la santé. Le mal qu’elle portait en elle lui fit sentir de nouvelles atteintes à Maurice où elle retourna, et pendant le cours de la longue traversée qui la ramena en Europe, et enfin à Vienne, où elle rentra le 15 septembre 1858.

Les médecins les plus distingués furent appelés en consultation. Leur avis unanime fut que Mme Ida Pfeiffer avait un cancer au foie, causé sans doute par la fièvre de Madagascar, et que sa maladie était incurable.

L’air natal parut faire du bien à la malade. Pendant la première semaine les douleurs furent moins vives, et elle s’abandonna à de nouvelles espérances. Elle parla même de faire quelques petits voyages, et d’aller visiter ses autres parents à Gratz, Trieste et ailleurs. Mais cette inquiétude d’esprit n’était guère que l’effet de son état de maladie. Ses forces diminuèrent de plus en plus ; elle commença à éprouver de violentes douleurs, et elle eut souvent le délire.

Des potions opiacées calmèrent ses souffrances et firent cesser ces crises, mais ces palliatifs d’un mal incurable furent tout ce que l’art put obtenir. Dans la nuit du 27 au 28 octobre, la malade expira doucement et sans douleur apparente. Ses funérailles furent célébrées le 30 octobre, et beaucoup de hautes notabilités littéraires et scientifiques, et d’autres personnages distingués, se joignirent à ses nombreux parents et amis pour lui rendre les derniers honneurs. Repos soit à sa cendre !

Traduit par W. de Suckau.




Les derniers vœux de Mme Ida Pfeiffer en faveur de Madagascar semblent sur le point de se réaliser. Les plus récentes nouvelles venues de cette île nous ont appris que, le 18 août dernier, la reine Ranavalo avait enfin trouvé le terme de son odieuse existence, et que le prince Rakoto, sorti vainqueur, grâce au dévouement de ses fidèles, d’une lutte armée avec le prince Ramboasalama, représentant de la vieille barbarie malgache, avait été proclamé roi sous le nom de Rakotond-Radama. Il peut donc, dès aujourd’hui et sans obstacles, donner suite à ses projets de réforme, et ouvrir sa belle patrie au souffle vivifiant de la civilisation européenne.