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pas, il est vrai, comme l’exigeaient les règlements de la fête, autant qu’il en aurait fallu pour les besoins de ce jour et des sept jours suivants. Nos gens n’auraient pas pu emporter une si grande provision ; cependant cinq des plus belles bêtes furent sacrifiées en l’honneur de la fête ; M. Lambert ne se borna pas à traiter nos gens, mais il régala tout le village. Le soir, il s’assembla bien quatre ou cinq cents personnes, tant hommes que femmes et enfants devant nos cabanes, et, pour compléter les joies de la fête, M. Lambert fit circuler leur boisson favorite, le besa-besa. Cette boisson, qui ne parut à mon palais rien moins qu’agréable, se compose de jus de canne à sucre, d’eau et d’écorce amère d’afatraina. On verse d’abord l’eau sur le jus de canne à sucre, on laisse fermenter le mélange, on y met ensuite l’écorce, et on attend une nouvelle fermentation. La solennité du jour, et plus encore sans doute le besa-besa, provoquaient une telle gaieté parmi les habitants du village qu’ils nous gratifièrent spontanément de leurs chants et de leurs danses. Malheureusement la musique était aussi misérable que la chorégraphie.

Quelques jeunes filles se mirent à frapper de toutes leurs forces avec de petites baguettes sur un gros bambou ; d’autres chantèrent, ou pour mieux dire hurlèrent autant qu’elles purent. C’était un tapage infernal. Deux noires beautés dansèrent, c’est-à-dire s’agitèrent lentement çà et là sur un petit espace, levant à moitié les bras et tournant les mains tantôt en dehors tantôt en dedans.

Pour les hommes il n’y en eut qu’un qui voulut bien nous montrer son talent de danseur. Ce devait être le lion du village. Il fit des petits pas comme ses charmantes compatriotes, seulement il y mit un peu plus d’animation. Toutes les fois qu’il approchait d’une des femmes ou des jeunes filles, il se permettait malgré notre présence des gestes extrêmement libres, qui, de même qu’on le voit à Paris dans les bals publics, avaient le plus grand succès et étaient accueillis par des rires bruyants.

Je vis à cette occasion que les naturels du pays se servent non de tabac à fumer, mais de tabac à priser, seulement au lieu de le mettre dans le nez ils le placent dans la bouche. Les hommes et les femmes prennent la tabac de la même manière.

Après la joyeuse journée de la veille nos porteurs en eurent aujourd’hui une d’autant plus rude. Les collines étaient beaucoup plus hautes que celles que nous avions rencontrées jusqu’ici (de 170 à 200 mètres). Heureusement il n’avait pas plu, et les routes étant sèches on grimpait encore assez facilement.

Le pandanus mericatus ou vaquois pyramidal. — Dessin de E. de Bérard.

Toutes les collines et les montagnes étaient couvertes de bois touffu. Mais j’y cherchai en vain ces beaux arbres que j’avais vus dans les forêts vierges de Sumatra, de Bornéo ou même de l’Amérique. Les plus gros troncs devaient avoir à peine plus d’un mètre de diamètre, et les plus hauts arbres ne dépassaient guère trente et quelques mètres. Quant aux fleurs, je n’en vis qu’un assez petit nombre. Ce que ces forêts avaient de plus remarquable, c’étaient les grandes fougères qu’on trouve à Madagascar comme à Maurice. On me dit que tous les grands arbres avaient été coupés le long de la route, mais que dans l’intérieur des bois il y en avait de très-beaux et qu’il n’y manquait pas non plus de plantes grimpantes et d’orchidées, dont je n’aperçus sur la route que de rares spécimens.

Du haut de quelques montagnes que nous gravîmes, nous eûmes de superbes vues d’un genre tout particulier ; je n’ai pas encore rencontré de paysage aussi vaste, tout entier formé de collines, de montagnes et de gorges étroites, et sans aucune plaine. Nous aperçûmes deux fois la mer dans le lointain.

Ce pays devrait s’approprier parfaitement à la culture du café, car le caféier vient très-bien sur des coteaux à pentes rapides. Il doit être aussi excellent pour l’élève du bétail, surtout des moutons. On y verra peut-être quelque jour les plus belles plantations qui répandront la vie et l’animation sur cette terre superbe ; aujourd’hui tout y est malheureusement mort et désert ; à peine si nous découvrîmes par-ci par-là quelque misérable hutte, à moitié cachée derrière les arbres. Nous passâmes la nuit du 25 au 26 dans le village de Beforona.

Les trois journées suivantes furent employées à traverser le plateau d’Ancaye et la double chaîne d’Efody, puis nous pénétrâmes dans l’intérieur d’Émirne, pays dont est originaire la race des Hovas et au milieu duquel est située la capitale de toute l’île.

Le territoire d’Émirne consiste en un grand et magnifique plateau qui s’élève à plus de treize cents mètres au-dessus du niveau de la mer. On y découvre une grande