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ments et les assemblées du peuple, pour entendre les nouvelles ordonnances et les nouvelles lois de la reine.

Les kabars se tiennent quelquefois dans des lieux éloignés, de sorte que les pauvres gens ont plusieurs journées de route à faire pour s’y rendre. Les lois ne sont pas toujours aussi publiées de suite ; on en remet souvent la publication d’un jour à l’autre, et on retient les malheureux des semaines entières. Il arrive, dans ces occasions, que plusieurs meurent de faim et de misère, ne s’étant pas pourvus de riz pour un si long espace de temps ; et, n’ayant pas d’argent, ils sont obligés de se nourrir de racines et d’herbes. Mais la reine semble n’avoir en vue que leur destruction, car elle hait tous les peuples qui ne sont pas de sa race, et son plus grand désir, je crois, serait de les anéantir tous d’un seul coup.

Du temps du roi Radama, le pays était, à ce qu’on m’a affirmé, infiniment plus peuplé. Sous le règne de la reine actuelle, on n’a pas vu seulement plusieurs grands villages réduits à quelques misérables cabanes, beaucoup ont entièrement disparu. Ou nous montra souvent des places où il avait existé autrefois, disait-on, de beaux villages.

Nous couchâmes le 22 à Manambotre. À peu de distance de ce village, nous passâmes près d’un endroit où il y avait çà et là de grands rochers, ce qui nous surprit beaucoup, car le sol ne se composait partout ailleurs que de terrains n’offrant pas la moindre trace de pierres.

M. Lambert fit tuer le soir deux bœufs pour notre suite. On les amena devant notre cabane en les traînant avec des cordes qu’on leur avait passées autour des cornes ; plusieurs hommes armés de couteaux se glissèrent jusqu’à eux par derrière et leur coupèrent les tendons des pieds de derrière. Les pauvres bêtes tombèrent sans force et purent être tuées sans danger. Comme je l’ai déjà fait remarquer plus haut, on ne leur ôte pas la peau, on la rôtit avec la chair, et les naturels du pays la préfèrent même à cette dernière, parce qu’il s’y trouve plus de graisse. Les bœufs sont beaux et grands et d’un naturel très-doux ; ils appartiennent à la race des buffles.

Le 23 mai commencèrent les mauvaises routes. Elles ne m’effrayèrent pas, car dans mes nombreux voyages, comme par exemple en Islande, dans l’ascension de l’Hekla, dans le Kurdistan, à Sumatra et en d’autres pays, j’en ai rencontré d’infiniment plus mauvaises ; mais elles parurent remplir d’épouvante mes compagnons de voyage. Le terrain a une forme ondulée ; il est formé de collines assez escarpées et tellement serrées qu’elles sont à peine séparées l’une de l’autre par des plaines d’une centaine de mètres. Les routes, au lieu de longer les flancs des collines, les montent et descendent perpendiculairement ; et le sol est une terre molle et argileuse qui, quand il pleut, devient glissante comme la glace. Il ne manque pas, en outre, de trous profonds faits par les milliers de bœufs allant continuellement de l’intérieur à la côte.

Je ne pouvais assez admirer nos porteurs. Il faut réellement une force et une adresse peu communes pour porter de lourds fardeaux sur de telles routes.

Les collines étaient revêtues d’une belle herbe épaisse, et quelques-unes couvertes de bois. Parmi ces derniers il y avait beaucoup de bambous dont les touffes délicates, d’un gris clair, brillaient d’une fraîcheur telle que je n’en avais encore vu. Comme, pour faire ombre au tableau, on voyait, à côté de l’éclatant bambou, le palmier raffia aux feuilles foncées de cinq mètres de long. Ce palmier est d’un grand prix pour les indigènes, qui, avec les fibres de ses feuilles, tressent les rabanetas ou nattes grossières destinées à envelopper le sucre et le café.

Je vis quelques magnifiques échantillons de l’urania speciosa. Ils viennent ici, dans l’intérieur du pays, bien mieux que sur la côte de la mer. Je me rappelle avoir lu dans quelques descriptions de voyages, qu’on ne trouvait ce palmier que dans des endroits où l’eau manquait, et qu’on l’appelait palmier d’eau ou bien arbre du voyageur, parce qu’entre chaque feuille et le tronc il s’amassait un peu d’eau qui servait à désaltérer les passants. Les naturels du pays prétendent au contraire que ce palmier ne vient que sur un sol humide et que l’on trouve toujours de l’eau dans son voisinage. Je n’eus malheureusement pas l’occasion de vérifier laquelle de ces deux assertions est exacte. Mais il faut espérer qu’il viendra un temps où les botanistes exploreront cette grande île, et où cette question se trouvera résolue avec beaucoup d’autres questions d’histoire naturelle et de géographie.

Un palmier qui réussit aussi parfaitement à Madagascar est le sagou. Par extraordinaire les indigènes en dédaignent la moelle, bien qu’ils ne soient pourtant pas difficiles dans le choix de leurs aliments, car ils ne mangent pas seulement des herbes et des racines, mais jusqu’à des insectes et des vers.


Célébration de la fête nationale. — Chant et danse. — Beforona. — Le plateau d’Ankaye. — Le territoire d’Émirne. — Réception solennelle. — Ambatomango. — Le Sikidy. — Marche triomphale. — Arrivée à Tananarive. — Le prince Rakoto.

Nous divisions d’ordinaire notre journée en deux parties. À l’aube du jour nous nous mettions en route ; après trois ou quatre heures de marche nous faisions une halte pour prendre notre déjeuner, dont le fond se composait de riz et de poulets, mais dont le menu se trouvait d’ordinaire augmenté par quelque pièce de gibier, surtout par des perroquets et d’autres superbes oiseaux tués en route par M. Lambert. Après un repos d’environ deux heures, on passait à la deuxième partie de la journée, généralement semblable à la première.

Mais le 24 mai on s’en tint à la première partie, en l’honneur de la grande fête nationale qui commençait ce même jour. La reine avait sans doute pris le matin même le bain du nouvel an. M. Lambert ne voulant pas priver nos gens du plaisir de prendre part à la célébration de la fête, nous nous arrêtâmes dans le village d’Ampatsiba à dix heures du matin.

On commença par immoler les bœufs. On n’en tua