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pour avoir fait partie d’une razzia précédente, ils avaient été retenus captifs jusqu’à ce que le gouvernement de Buenos-Ayres à qui on en référa, eût statué sur leur sort. Un ordre formel arriva ensuite de la métropole de les retenir prisonniers et de les faire travailler ; il avait même été question de les mettre à mort, mais on avait pris en considération les offres de paix contenues dans la dépêche dont ils étaient porteurs, et ils devaient la vie uniquement à cette missive. Quant à leur liberté, ils l’avaient recouvrée, grâce à la négligence de ceux qu’on avait préposés à leur garde.

Dès lors un revirement complet se fit en ma faveur dans tous les esprits ; mes plus grands ennemis même n’eurent plus que des éloges à m’adresser ; toute leur méfiance s’évanouit en un moment. Ils parurent oublier jusqu’au souvenir de mes tentatives d’évasion ; il me fut permis de monter à cheval et de les accompagner en toute occasion. Jugé digne de la confiance générale, je repris également mes fonctions d’écrivain de la confédération nomade.


Comment la politique extérieure des Provinces-Unies de la Plata vint à influer sur ma destinée. — Le général Urquiza. — Quelques mots sur cet homme d’État, intéressé autant que moi à flatter le penchant de mes maîtres à l’ivrognerie. — Présents qu’il leur envoie. — Orgie générale. — Ma fuite et ma délivrance. — Rio Quinto. — Mendoza. — Les Andes. — Retour en France.

Les républiques unies de la Plata avaient alors, et, pour leur bonheur, ont toujours à leur tête un homme sur lequel je vais arrêter un instant les yeux du lecteur, ne serait-ce que pour leur offrir une compensation aux figures grimaçantes, grotesques ou hideuses que je leur ai décrites jusqu’ici.

M. Guinnard arrive en suppliant chez le cacique Calfoucoura (Pierre-Bleue).

Don Justo-Jose Urquiza, né à la Conception de l’Uruguay, dans l’Entre-Rios, ne doit rien qu’à lui-même. Sorti des rangs du peuple, simple gaucho, comme il aime à s’en vanter, n’ayant jamais reçu d’autres leçons que celles de sa propre expérience, il s’est peu à peu frayé un chemin par la force de son caractère et la supériorité de son intelligence. Ses rares talents militaires lui valurent la faveur de Rosas, qui l’avança rapidement et en fit bientôt son bras droit. Urquiza put croire un moment que le dictateur ne s’imposait à la Confédération que pour lui donner les moyens d’accomplir de grandes choses, et peut-être pour sauvegarder l’indépendance de son pays. Mais il ne tarda pas à démêler les motifs de cette politique astucieuse et méfiante. Dès qu’il s’aperçut qu’on exploitait son patriotisme au profit d’une étroite ambition personnelle, il se tourna contre le dictateur, l’accusant de fausser la Constitution et d’attenter aux libertés nationales. Rosas avait plusieurs fois feint un désintéressement qui était loin de sa pensée. Périodiquement, à des époques habilement calculées, il parlait avec une modestie vraiment touchante, tantôt de son âge trop avancé, tantôt de sa santé délabrée, et demandait à résigner un pouvoir dont il ne pouvait plus, disait-il, supporter le fardeau. Mais le vieux lion qui avait toujours vu les représentants trembler devant lui, savait bien qu’aucun d’eux n’oserait accepter sa démission. L’assemblée se hâtait d’implorer son dévouement et de lui arracher, par d’ardentes supplications, un sacrifice glorieux. Ces plates adulations passaient auprès des cours étrangères pour l’expression du sentiment public. Urquiza choisit le moment où le dictateur cherchait, en 1851, à renouveler cette honteuse comédie ; il lança une proclamation dans laquelle il déclarait Rosas déchu du pouvoir exécutif, et il se plaça lui-même à la tête d’un parti qui voulait à la fois la réunion des provinces en une con-